Comment faire rire un Berlinois à coup sûr ? Avec cette phrase toute simple : «Le conseil de surveillance de la société aéroportuaire berlinoise FBB se réunit ce vendredi pour décider officiellement de la nouvelle date d'ouverture de l'aéroport de Berlin BER.»
Sachant qu'il devait initialement ouvrir ses portes en 2012, que les travaux ont commencé en 2006 et que l'ouverture a été reportée cinq fois, il est permis de douter de cette information, voire de se montrer un tantinet taquin. Résumons le problème pour les novices : la capitale de la première économie européenne compte deux aéroports. D'abord celui de Tegel, central, et dont la tour de contrôle très seventies ne déparerait pas dans la Chèvre. Les Berlinois y sont très attachés – en 2017, lors d'une consultation, ils ont voté à 56% pour son maintien. Et puis il y a celui de Schönefeld, qu'ils n'aiment pas car il est loin de tout, à 20 kilomètres du centre.
Spectaculaire fiasco
Mais la ville étant de plus en plus prisée, notamment par les touristes, la décision de construire un aéroport à la mesure de sa gloire fut prise dans les années 2000. On allait construire du beau, du grandiose, qui ferait honneur au pays, à toute l'Europe même ! Plus de 40 millions de passagers par an, voire, soyons fous, 55 millions en 2040, et surtout, des liaisons long-courrier à foison ! Jusqu'ici, on en dénombre huit à Berlin (pour Toronto, Pékin, Oulan-Bator, Singapour, New York, Newark, Philadelphie, et Doha), contre 137 depuis les aéroports de Paris. En 2005, la décision est donc prise de lancer le pharaonique chantier, jouxtant Schönefeld dont il est une extension. E que s'apelerio «aéroport Berlin-Brandebourg-Willy-Brandt», touchant hommage au chancelier social-démocrate… Dont le nom est donc désormais associé à l'un des plus spectaculaires fiascos allemands de ces dernières années.
Car depuis 2010, ce n'est qu'une litanie de reports, de défauts de construction, de malfaçons : sécurité incendie défaillante, 16 000 défauts dans les câbles de sécurité selon un récent rapport, manque de comptoirs d'enregistrement, escalators trop courts… Tout cela entraînant des retards et des coûts additionnels monstrueux. Le BER devrait finalement coûter 7,1 milliards d'euros, au lieu du milliard et demi initialement prévu. De conférences de presse façon En attendant Godot en rapports effrayants sur la sécurité des lieux, ce projet a au moins le mérite d'interroger notre rapport au temps. C'est qu'il s'en est passé des choses depuis 2012 : deux Mondiaux de football, des adieux à la présidence de la CDU pour Merkel, la mort de Helmut Kohl…
Devis initial vs. coût final
Pour autant, Berlin n'est pas la seule concernée par ce genre de ratés. Et l'Allemagne n'est pas aussi ponctuelle et efficace qu'elle le prétend. Prenons la Philarmonie de l'Elbe, monumentale et superbe salle de concerts hambourgeoise. Si la fin du chantier était prévue pour 2010, l'inauguration eut lieu en 2017. Devis initial : 77 millions d'euros. Coût final : 789 millions.
Mi-novembre, lorsque Elon Musk a annoncé que la première gigafactory Tesla d'Europe serait implantée dans le Brandebourg, non loin de Berlin, il a précisé : «Près du nouvel aéroport.» Gloussements dans la salle. La comparaison était hasardeuse. Alors le patron de Tesla a ajouté, en une admirable litote : «Nous devons définitivement avancer plus vite que l'aéroport.»