Ils ont tenu à défiler, défiant le couvre-feu et la répression. Plusieurs milliers d'habitants de Nassiriya, principal foyer de la révolte dans le sud irakien, se sont regroupés jeudi après-midi en un cortège funéraire pour rendre hommage aux manifestants tués dans leur ville un peu plus tôt dans la journée, au moins 28 personnes. Plus de 200 autres avaient été blessés, selon des sources médicales et de sécurité citées par l'Agence France Presse, lorsque les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur plusieurs rassemblements et sit-in qui bloquaient deux ponts de la ville. L'opération sanglante n'a pas entamé la détermination des manifestants. Jeudi après-midi, ils criaient qu'ils continueraient «jusqu'à la chute du régime».
«Cellules de crise»
L'assaut des forces de police a été décidé au lendemain de l'incendie du consulat iranien de Nadjaf. Des centaines de manifestants s'étaient introduits mercredi soir dans le bâtiment aux cris de : «Victoire à l'Irak ! L'Iran dehors !» Un acte d'autant plus symbolique que Nadjaf, cité sainte, accueille le mausolée de l'imam Ali, cousin de Mahomet et premier imam du chiisme, et l'une des nécropoles les plus étendues du Moyen-Orient. Entamée le 1er octobre, la contestation vise toujours à chasser un pouvoir central incompétent et corrompu. Malgré des réserves de pétrole massives, un Irakien sur cinq vit sous le seuil de pauvreté et selon les chiffres officiels, 410 milliards d'euros ont été détournés ces seize dernières années. Mais la colère cible chaque jour ouvertement l'influence iranienne. Profitant du retrait américain de 2011, Téhéran a accentué son emprise sur le pouvoir central de Bagdad, s'ingérant jusque dans les nominations de ministres. Dans des documents secrets obtenus par des médias américains, les services de renseignement iraniens louent leur «relation spéciale» avec Adel Abdel-Mehdi, ex-ministre du pétrole et actuel Premier ministre. L'Iran peut aussi compter sur les milices qu'il finance à travers le pays.
Sans surprise, Téhéran a violemment réagi à l'attaque contre son consulat de Nadjaf. «L'Iran a officiellement fait part de son dégoût à l'ambassadeur d'Irak», a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères en exigeant «une action décisive, efficace et responsable contre les agents destructeurs et les agresseurs». Bagdad a de son côté dénoncé des personnes «étrangères aux manifestations» qui voulaient «saper les relations historiques» entre l'Irak et l'Iran.
Le pouvoir central irakien paraît en réalité désemparé. Il a annoncé la création de «cellules de crise» à travers le pays et nommé des commandants militaires pour «restaurer l'ordre». Mais à Nassiriya, la nomination du général Jamil al-Chemmari, en charge de la sécurité à Bassora lors des émeutes de 2018, a été dénoncée par le gouverneur de la province.
Refus de céder
Le Premier ministre Abdel-Mehdi a finalement limogé celui qu’il venait de nommer. Il refuse pour autant de céder aux principales exigences des manifestants : des réformes, un renouvellement du système et sa démission.
Face au blocage de Bagdad, le mouvement se poursuit et s’intensifie. Des manifestants se sont heurtés jeudi aux forces de l’ordre à Kerbala, autre ville sainte chiite, où le consulat iranien avait également été visé début novembre. Comme à Nassiriya, les policiers ont tiré à balles réelles, tuant au moins une personne.
Les manifestations n’ont pas cessé non plus à Bagdad, la capitale, et à Bassora, au sud, où les protestataires bloquent toujours les principales routes. Depuis deux mois, la répression des forces de l’ordre a fait plus de 380 morts et 15 000 blessés.