Des fleurs déposées par des passants le long de London Bridge. Des larmes. Des hommages appuyés aux victimes et aux héros. Les photos de deux jeunes gens, Saskia Jones, 23 ans, et Jack Merritt, 25 ans, brutalement tués. Des déclarations désolées puis, très vite, virulentes, qui pointent les responsabilités présumées. Les suites de l’attentat de vendredi à Londres empruntent une trajectoire connue et trop souvent répétée ces dernières années. A moins de dix jours des élections générales, les paroles deviennent simplistes, quand la situation est évidemment complexe.
Le candidat conservateur et aujourd'hui Premier ministre Boris Johnson a promis de «supprimer le système automatique de libérations anticipées». Selon lui, si l'auteur de l'attentat de vendredi, Usman Khan, 28 ans, déjà condamné pour terrorisme en 2012, n'avait pas été libéré après huit ans de détention sur une peine de seize ans, le drame «aurait pu être évité». Sa ministre de l'Intérieur, Priti Patel, a affirmé dans un tweet que le gouvernement travailliste (au pouvoir jusqu'en 2010) avait introduit une législation rendant systématique la libération de «dangereux terroristes» une fois purgée la moitié de leur peine. Deux déclarations tout simplement erronées et incomplètes.
Dangerosité. Il n'existe pas au Royaume-Uni de système automatique de libération anticipée pour des faits de terrorisme. En 2012, Usman Khan avait 20 ans lorsqu'il a été condamné pour sa participation à un groupe terroriste engagé dans le projet de développement d'un camp d'entraînement au Pakistan, et ses liens avec un autre qui préparait un attentat contre le London Stock Exchange. Il avait été condamné à une «peine à durée indéterminée», un système introduit sous Tony Blair en 2005. Cela signifiait qu'il ne pouvait être libéré que sur avis d'une commission de libération conditionnelle. En appel, il avait écopé d'une «peine à durée étendue» : le juge, qui avait pris en compte son jeune âge, avait prononcé seize ans de prison, ce qui lui permettait de demander sa libération anticipée après huit ans. Khan avait été libéré en 2018, avec obligation de porter un bracelet électronique permettant de suivre sa trace et «toute une série de mesures contraignantes». Le régime de «peine à durée indéterminée» a été supprimé en 2012 par le gouvernement conservateur de David Cameron, alors que celui de «peine à durée étendue» a été durci.
Aujourd’hui, une personne condamnée pour terrorisme écope de prison à vie et ne peut prétendre à sa libération que sur avis favorable d’une commission. Ou elle peut recevoir une peine fixe dont elle devra faire les deux tiers avant de pouvoir déposer une demande de libération, soumise encore une fois à l’avis d’une commission.
De son côté, le Labour de Jeremy Corbyn a blâmé dix ans de coupes drastiques des gouvernements conservateurs dans les budgets des prisons et de la justice. Entre 2010 et 2015, un quart des postes de surveillants de prison ont été supprimés. Les prisons sont surpeuplées et les fonds alloués aux programmes de réhabilitation, drastiquement réduits. Le service de probation, qui aurait pu déceler la dangerosité de Khan et le renvoyer en prison, a été partiellement et «irrémédiablement mal» privatisé en 2014, estimait en mars, dans un rapport cinglant, sa directrice. D'après son avocat, Khan avait demandé au début de sa détention à participer à un programme de déradicalisation, mais n'y aurait pas eu accès.
Narval. Au-delà de la polémique, il faut regarder du côté des victimes et des héros. Saskia Jones et Jack Merritt étaient diplômés de l'université de Cambridge. Ils étaient très impliqués dans le programme «Learning Together», qui partageait les expériences d'ex-prisonniers et de professionnels en matière de réhabilitation. C'est au cours d'une conférence de ce programme que l'assaillant a commencé à poignarder ceux qu'il croisait dans l'escalier de l'entrée.
Des membres du public se sont alors jetés sur lui, dont deux ex-détenus, Marc Conway, qui travaille avec les services de réhabilitation, et James Ford, un meurtrier en fin de peine, de sortie pour une journée. Poursuivi sur le pont, Khan s’est retrouvé cloué au sol, aspergé par la mousse d’un extincteur et piqué par une défense de narval, devenue le symbole de cet attentat. Un cuisinier polonais, Lukasz, avait eu le réflexe de s’emparer de cette dent de cétacé de 1,50 m de long, accrochée à un mur du Fishmongers’ Hall. Un policier, de repos ce jour-là, a traversé le pont pour venir s’emparer d’un des deux couteaux brandis par le terroriste. Jusqu’à ce que ses collègues en armes, arrivés en à peine cinq minutes, entrent en scène et abattent Khan, un autre homme est resté à terre, frappant à poings nus l’assaillant, qui avait attaché autour de sa taille une ceinture d’explosifs qui s’est révélée un leurre.
Cette conjonction extraordinaire de personnalités, venues d’horizons si divers, apporte peut-être un parfait antidote à la polémique. Il n’existe pas une seule réponse au terrorisme, mais des dizaines. Et ces réponses vont bien au-delà de la durée d’une peine de prison.