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Libération
CHRONIQUE «TERRES PROMISES»

Mitzpe Ramon, le bout de la route et du rêve israélien

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Lors d'une fête juive, à Mitzpe Ramon, en mai 2014. (Frédéric Soltan/Photo Frédéric Soltan. Corbis via Getty Images)
par Guillaume Gendron, envoyé spécial à Mitzpe Ramon
publié le 3 décembre 2019 à 6h20

Chaque mardi, instantanés d'Israël et de Palestine, à la découverte des bulles géographiques et mentales d'un territoire aussi petit que disputé. Aujourd'hui, Mitzpe Ramon, dans le désert du Néguev, communauté la plus isolée du pays et symbole des «villes en développements» rêvées par Ben Gourion et restées dans leur jus.

Seulement deux heures au volant depuis Tel-Aviv, et l'impression d'être au bout de la route. C'est l'effet que produit Mitzpe Ramon, dernier îlot urbain sur le long chemin à travers le désert du Néguev menant aux transats sur la mer Rouge d'Eilat, 150 bornes de poussière plus au sud.

Les 5 000 habitants de Mitzpe Ramon sont officiellement la communauté la plus isolée d'Israël. Le bitume y menant est bordé de villages bédouins non reconnus par l'Etat hébreu. Les toits de tôles scintillent sous le soleil été comme hiver et des panneaux triangulaires intiment de faire attention au passage des chameaux. Sur la route, des femmes enveloppées dans de grandes étoffes sombres traversent à pas lents entre les véhicules qui fusent vers le sud. Dans le même temps, la jeunesse bédouine fait crisser les pneus de vieilles Hyundai couvertes de sable sur les parkings des stations-service.

Et puis, à 800 mètres d'altitude, perché au bord d'un immense cratère dû à l'érosion, Mitzpe Ramon. Le «Grand Canyon israélien», disent les guides. Le bout de la route, donc : le plus souvent pour les touristes (qui se divisent, en gros, en deux catégories, accros à la rando et yoguistes-guitaristes en ponchos), mais aussi pour les communautés parmi les plus marginales, et marginalisées, d'Israël. Et ce depuis sa création.

Le père fondateur de l'Etat, David Ben Gourion, était obsédé par l'idée de «peupler» le désert, faisant fi des Bédouins, qu'il rêvait de sédentariser. C'est ainsi que Mitzpe Ramon passe dans les années 1950 du simple camp pour les ouvriers traçant la route jusqu'à Eilat et creusant les carrières alentour au statut de «ville en développement».

Par bus entiers, on y envoie alors des juifs maghrébins et roumains. A peine sortis des camps de transits, rarement en leur donnant le choix. Les HLM poussent au milieu du désert. Puis ce sont les «Hébreux Noirs», secte d'Afro-américains se décrivant comme le véritable peuple élu, qui s'installent, tolérés par Israël mais non reconnus authentiquement juifs. Suivront, après l'effondrement de l'empire soviétique, des russophones, et enfin, dans les années 2000, des sionistes religieux et des artistes, qui montent des campings véganes et écolos.

Le week-end, sur la promenade surplombant le paysage lunaire, toutes ces communautés aux uniformes identifiables – ceux aux kippas en laine, ceux aux toges new age, ceux aux septums dans le nez – se mêlent aux bouquetins venus lécher les restes de pique-nique.

A long exposure shows a meteor streaking across the sky in the early morning during the annual Perseid meteor shower near the town of Mitzpe Ramon, southern Israel, August 13, 2019. REUTERS/Amir Cohen - RC13EF4D75F0A Mitzpe Ramon, dans le désert du Néguev, en août 2019. Photo Reuters

Le «développement», lui, n'est jamais advenu, comme dans tant d'autres bourgs de ce qu'on appelle la «périphérie» israélienne. Le taux de chômage y est le double du reste du pays, le revenu par habitants bien inférieur à la moyenne nationale. La modeste manne touristique semble incapable de sortir le bled de sa torpeur. L'ouverture, en 2011, du Beresheet, luxueux hôtel sponsorisé par l'Etat à quelques kilomètres de là, n'a pas vraiment changé la donne. Les «1%» qui peuvent se payer les jacuzzis avec vue sur le cratère n'ont même pas daigné s'y arrêter. Et Mitzpe Ramon de rester dans son jus, chacun dans sa bulle.