Un communiqué d’une organisation des droits humains sur un pays arabe n’évoquant ni morts, ni blessés, ni prisonniers, ni torturés, ni kidnappés ? Et concernant même les libertés de l’amour et de croyance ! Oui, cela arrive. Human Rights Watch (HRW) l’a fait cette semaine à propos du Maroc.
Sous le titre «Propositions capitales sur les libertés individuelles», l'ONG a soutenu l'initiative du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) du Maroc. Celui-ci présente au Parlement un mémorandum recommandant de dépénaliser les relations sexuelles consensuelles entre adultes non mariés, et d'accorder davantage de libertés religieuses.
Peines de prison pour les relations sexuelles hors mariage
«Le Parlement marocain devrait sortir l'Etat des chambres à coucher, et laisser les gens vivre leurs vies privées consensuelles sans crainte de la prison ou du tribunal», a déclaré Ahmed Benchemsi, l'un des responsables de HRW pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Comme dans beaucoup d'autres pays arabes, la loi marocaine prévoit des peines de prison pour les relations homosexuelles, les relations sexuelles hors mariage et l'adultère. En 2018, 7 721 adultes ont été poursuivis pour relations sexuelles consensuelles et non tarifées en dehors des liens du mariage − dont 3 048 inculpés d'adultère et 170 de relations homosexuelles.
Outre les relations amoureuses, d’autres libertés individuelles sont réclamées par le CNDH dans son initiative impliquant une refonte de plusieurs articles du code pénal. Parmi elles, la dépénalisation de l’acte de manger ou boire en public, en journée, pendant le mois de ramadan, qui peut aujourd’hui coûter jusqu’à six mois de prison. Un élargissement du droit à l’avortement figure aussi parmi les recommandations.
Archaïsme des lois marocaines
L'affaire récente de la journaliste Hajar Raissouni, condamnée en octobre à un an de prison pour «avortement illégal» et «relations sexuelles hors mariage», puis graciée par le roi Mohammed VI, a peut-être encouragé le CNDH marocain à prendre son initiative. Le sort de la jeune femme emprisonnée avait eu un écho international qui a pointé l'archaïsme des lois marocaines en matière de libertés individuelles.
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La démarche entreprise par le CNDH a toutefois peu de chances d’aboutir au Parlement marocain. Quelques jours après la publication du mémorandum, le Premier ministre Saadeddine El Othmani et le ministre des Droits humains Mustapha Ramid, deux dirigeants du Parti de la justice et du développement (PJD) d’obédience islamiste, ont rejeté les recommandations sur les libertés individuelles. Seul le petit Parti du progrès et du socialisme, qui ne détient que 12 sièges sur 395 à la chambre basse du Parlement, a soutenu les propositions.
Soulever les questions des libertés individuelles dans le débat public est en soi un progrès, même s’il faudra probablement d’autres initiatives pour faire aboutir la cause. En attendant, cela n’empêchera pas les Marocaines et les Marocains hors-la-loi de continuer à faire l’amour.