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Réglementation

La Commission européenne accusée de ne pas tester l’effet perturbateur endocrinien des pesticides

L’ONG Pesticide Action Network reproche à la Commission européenne de ne pas avoir testé l’effet perturbateur endocrinien des pesticides mis sur le marché depuis 2009.
Epandage de pesticides en 2018 dans la Sarthe. (Photo Jean-François Monier. AFP)
publié le 10 décembre 2019 à 8h25

La bataille des perturbateurs endocriniens n’est pas près de s’arrêter. L’association Pesticide Action Network (PAN) accuse aujourd’hui l’Union européenne d’approuver la mise sur le marché de pesticides sans tester leur potentiel effet perturbateur endocrinien. L’ONG s’est plongée dans les dossiers d’approbations de 33 pesticides en Europe. Dans 31 cas, aucun test n’a été requis concernant le caractère perturbateur endocrinien ou non de la molécule.

Plus inquiétant, 7 pesticides ont été considérés comme perturbateurs endocriniens par le Centre commun de recherche des pays de l'Union mais pas par les organes régulateurs. Une affirmation à tempérer puisque l'étude en question précisait bien en préambule que ses résultats «ne constituent pas une évaluation des différentes substances à mener en vertu des différentes législations sur les substances chimiques et ne préjuge en rien de futures décisions sur les substances actives». Il reste un flou très gênant sur l'incapacité des institutions européennes à s'entendre sur ce qu'est un perturbateur endocrinien.

Pour le PAN, «le régulateur n'essaye pas d'identifier les perturbateurs endocriniens toxiques nocifs mais fait de son mieux pour écarter les effets indésirables observés qui pourraient être liés aux perturbations endocriniennes». L'ONG va même plus loin. «Ces résultats fournissent une preuve supplémentaire d'un effort concerté mené par la direction générale de la santé de la Commission, le secrétariat général et certains Etats membres, pour continuer à autoriser les pesticides nocifs dans l'UE.»

Un règlement en 2009, une application en 2018

La Commission européenne a pourtant adopté des règles sur le sujet des perturbateurs endocriniens. En effet la réglementation de 2009 prévoit bien qu'«une substance active, un phytoprotecteur ou un synergiste n'est approuvé(e) que si, sur la base de l'évaluation d'essais […] il ou elle n'est pas considéré(e) comme ayant des effets perturbateurs endocriniens». Un autre règlement de 2012 dispose que «la mise à disposition sur le marché d'un produit biocide pour utilisation par le grand public n'est pas autorisée lorsque […] il possède des propriétés perturbant le système endocrinien». L'Europe ne respecterait donc pas ses propres règlements.

Dans sa réponse à Libération, la Commission européenne rappelle qu'elle se base sur «de nouveaux critères scientifiques permettant d'identifier les perturbateurs endocriniens dans le domaine des produits phytopharmaceutiques et des biocides» applicables depuis… novembre 2018. Faut-il comprendre qu'entre 2009 et 2018 il était normal de ne pas tester l'effet perturbateur endocrinien des molécules en l'absence de critère scientifique accepté par l'Union ?

Cette fois, c'est l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) qui répond. Pour les substances étudiées avant novembre 2018, les manques de données et les incertitudes liées à de possibles effets perturbateurs endocriniens sont «mises en avant dans les conclusions».

La Commission poursuit en soulignant que «les nouveaux critères seront bien entendu appliqués» dans le cadre de procédures de réexamen des substances approuvées avant novembre 2018. A son crédit, une semaine avant la sortie de ce rapport, l'Europe a bien interdit un des pesticides de la liste, le chlorpyrifos. Mais à l'inverse, le PAN pointe que huit des cas étudiés ont été approuvés après 2018 sans demandes de tests spécifiques sur l'effet perturbateur endocrinien.

Flou scientifique et retard réglementaire

Ce décalage entre la prise en compte d'un risque et la mise en application des réglementations ad hoc ne surprend pas Eric Thybaud, responsable du pôle dangers et impact sur le vivant de l'Ineris. «La réglementation européenne sur les produits phytosanitaires et les biocides perturbateurs est stricte mais il va falloir du temps pour qu'elle se mette en place», juge-t-il. La bureaucratie a ses lourdeurs…

Par ailleurs ce décalage s'explique aussi par un doute scientifique réel qui entretient des discussions réglementaires à rallonge, comme l'explique le chercheur Jean-Baptiste Fini. «Il existe des tests fiables validés par l'OCDE sur lesquels on peut s'appuyer. Mais la plupart ne donnent qu'une information partielle en raison de la complexité des réponses endocriniennes. Ces tests sont réalisés sur des cellules ou des animaux et la discussion de la transposition à l'homme, notamment, est laissée ouverte. Quand ils sont positifs, on peut demander des tests complémentaires mais ils sont longs et chers.» L'Europe a d'ailleurs lancé un programme de recherche doté de 52 millions d'euros pour améliorer les tests de détection des perturbateurs endocriniens.

La réglementation des produits chimiques sous le feu des critiques

Ce n'est pas la première fois que les règles d'approbation de mise sur le marché des substances chimiques sont remises en cause. En mai, Libération dévoilait le contenu de documents confidentiels, obtenus par le PAN auprès de la justice européenne, qui mettent au jour les manipulations de Bruxelles pour éroder la législation sur l'autorisation des biocides.

En octobre, après plus de trois ans d'enquête, l'Institut fédéral allemand d'évaluation des risques (BfR) a démontré que 32% des 3 800 substances chimiques enregistrées auprès de l'Agence européenne des produits chimiques ne sont pas conformes à la législation européenne.

Le sujet perturbateurs endocriniens va s’amplifier

Les perturbateurs endocriniens sont un sujet encore assez récent au niveau de la régulation et même leur définition a donné lieu à de grands débats. La science tend à démontrer que des molécules issues de plastiques ou des pesticides notamment, perturbent les systèmes hormonaux (testostérone, œstrogène, hormones thyroïdiennes). Cette perturbation pourrait avoir lieu à des concentrations très faibles de produit sur, par exemple, la capacité de reproduction.

Selon le PAN, l'approche européenne actuelle signifie que «les effets endocriniens spécifiques, subtils, à faible dose, ne sont pas étudiés et le public et l'environnement ne sont pas suffisamment protégés. Les régulateurs s'en tiennent aux anciens protocoles obsolètes des quarante dernières années et affirment que ces protocoles protègent également contre les perturbations endocriniennes».

La réglementation sur les effets perturbateurs endocriniens des substances chimiques mises sur le marché sera le sujet majeur des années à venir en Europe. Il commence par les pesticides mais d’autres secteurs vont être affectés. «C’est un sujet qui risque de toucher de nombreuses substances au-delà des phytosanitaires et des biocides, prédit Eric Thybaud. Cela va être compliqué à gérer.»