Chaque mardi, instantanés d'Israël et de Palestine, à la découverte des bulles géographiques et mentales d'un territoire aussi petit que disputé. Aujourd'hui, Rawabi, l'unique «ville nouvelle» de Cisjordanie, fantasme d'une Palestine moderne et consumériste.
Perchée sur sa colline rocailleuse, Rawabi est une métaphore pour la Palestine. Un chantier sans fin, voire un rêve anachronique à l'ère Trump-Nétanyahou, que les millions déversés années après années n'ont pas réussi à arracher à la réalité politique de l'occupation israélienne, ni aux résistances culturelles palestiniennes.
Au milieu des arbustes entre Ramallah et Naplouse, à seulement 40 kilomètres de Tel-Aviv, les premières pierres ont été posées en 2011. Presque une décennie plus tard, lorsque l'unique «ville nouvelle» palestinienne apparaît dans notre pare-brise, c'est une mini-Métropolis déposée au milieu de nulle part qui se dessine.
Décor de théâtre
Soudain, le bitume troué de nids-de-poule s’aplanit. La route désormais faite de petites dalles lisses donne sur un rond-point (une rareté en Cisjordanie), de larges trottoirs et des places de parking à foison. Deuxième vision toute en verticalité au milieu des grues rouges : des immeubles beiges aux embrasures pas encore comblées par le verre. Entre le décor de théâtre et la ville Lego à taille réelle. Sur un mur, une pub pour le diamantaire Swarovski. En face, le squelette d’une mosquée. Il n’y a pas un seul passant.
A Rawabi, le 29 septembre 2017.
Photo Abbas Momani. AFP
Rawabi est le grand œuvre de Bashar Masri, un de ces milliardaires américano-palestiniens professant une même foi dans le patriotisme et le capitalisme. Son idée première était de construire là avant que les colons ne le fassent. La seconde, c'était d'imaginer la «Palestine du futur» à travers le prisme de l'«American Dream». C'est-à-dire une ville aux lignes hygiénistes avec appartements spacieux, boutiques de luxe, cafés à l'occidentale, entreprises tech et même un amphithéâtre néoromain. Quelque part entre l'incubateur de start-up et le centre commercial. Presque le rêve de Trump, qui pensait avec son sommet de Manama que les aspirations palestiniennes étaient solubles dans le consumérisme. Proche de l'Autorité palestinienne, Masri avait néanmoins refusé de s'y rendre.
Selfies
Rawabi a-t-elle tenu ses promesses ? Le projet a jusqu'ici englouti plus d'un milliard d'euros, déboursés par Masri et le Qatar. Les chantiers structurels (canalisations, routes) se sont heurtés aux capricieux rouages de l'administration militaire israélienne. Environ 5 000 Palestiniens y ont emménagé sur les 40 000 espérés d'ici la fin des travaux, et autant y sont employés, la plupart sur les chantiers. Mais la bourgeoisie locale n'a pas migré en masse. A vrai dire, la plupart des Palestiniens rechignent à quitter leur ville d'origine, même sous couvert de mobilité sociale, l'attachement à la maison natale restant au cœur de la lutte nationale. D'autres ont critiqué l'esthétique de la ville, trop proche des colonies.
A lire aussiPalestine, des dollars et la paix en plan
Après quelques minutes à errer dans la rue concentrique qui ceinture la ville, on tombe sur le cœur de Rawabi : une allée piétonne bordée de magasins franchisés. Sur fond de pop arabe diffusée par haut-parleurs, des jeunes lookés et friqués font le plein de polos Lacoste. Des couples prennent des selfies à côté de statues en bronze fantasmant les «Arabes du futur» de cette Palestine modèle. A travers la vitrine d'une agence immobilière, on observe un couple se fait décrire son futur quartier. La maquette a l'air plus réelle que la ville où l'on se trouve.