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Libération

Algérie : une élection au forceps

FILE - In this Dec. 6, 2019 file photo, people demonstrate with anti-election posters in Algiers. Algeria's powerful army chief promises that a presidential election on Thursday, Dec. 12, 2019 will define the contours of a new era for a nation where the highest office has stood vacant for eight months. The tenacious pro-democracy movement which forced leader Abdelaziz Bouteflika to resign after 20 years in power doesn't trust the confident claim and is boycotting the vote. (AP Photo/Fateh Guidoum, File)
publié le 11 décembre 2019 à 20h26

Enfin, le pouvoir algérien tient son élection présidentielle. Après l’annulation du scrutin du 18 avril, devant l’ampleur de la mobilisation populaire contre un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, puis de celui du 4 juillet, faute de candidats, le vote aura bien lieu ce jeudi. Mais quel vote ? La crédibilité de l’Autorité nationale indépendante des élections, créée à la va-vite cet automne, est à peu près nulle. Les cinq candidats - deux ex-Premiers ministres, deux ex-ministres et un ex-député du FLN - sont tous d’anciens cadres du régime, l’élection ayant été boycottée par l’opposition. Quant à la campagne, elle s’est déroulée sous cloche : le public des meetings devait être muni d’invitations pour y assister…

De leur côté, les révolutionnaires du Hirak («mouvement») ont fait preuve d'une remarquable constance. Ils étaient à nouveau des centaines de milliers à marcher dans les villes du pays, vendredi, pour crier leur rejet d'un scrutin organisé par le «système» honni. Le soir même, un débat entre les cinq candidats était retransmis sur les chaînes algériennes, publiques comme privées. Le Hirak a à peine été mentionné au cours des échanges. Deux mondes dos à dos.

La haute hiérarchie militaire, qui dirige au grand jour depuis la démission forcée de Bouteflika, le 2 avril, a tout mis en œuvre pour arriver à ce scrutin censé remettre le pays sur les rails d’une légalité formelle. A commencer par une répression plus appuyée contre les voix dissidentes. Environ 200 manifestants et militants du Hirak ont été arrêtés et placés en détention ces derniers mois, affirme la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme.

La participation électorale est traditionnellement très faible en Algérie. Cette fois-ci, en dépit des vœux du chef de l'état-major, Gaïd Salah, l'abstention devrait être record. Des maires ont déjà indiqué qu'ils n'ouvriraient pas leurs bureaux de vote, notamment dans la région frondeuse de Kabylie. L'armée et la police ont été massivement mobilisées pour sécuriser le scrutin, qui risque d'être tendu dans de nombreuses localités.

Mardi, 19 personnalités respectées du Hirak ont appelé les révolutionnaires à «ne pas empêcher l'exercice par d'autres citoyens de leur droit à s'exprimer librement malgré les divergences d'approche et des positions politiques». Pour les contestataires, l'élection, même si elle aboutit, restera un non-événement. Ils ne reconnaîtront pas davantage de légitimité au nouveau chef de l'Etat qu'à l'actuel président par intérim, Abdelkader Bensalah, dont le mandat prévu par la Constitution a expiré le 9 juillet. Sa marge de manœuvre sera dans tous les cas extrêmement réduite. Car sans soutien populaire, le futur président, quel qu'il soit, ne sera pas non plus en mesure de s'émanciper des «décideurs», ainsi que sont désignés les cadres de l'armée qui pèsent sur la politique algérienne depuis l'indépendance.

Retour à l'impasse, donc ? Pas tout à fait : l'élection, que le pouvoir ne manquera pas de présenter comme une victoire si elle se déroule sans encombre, aura pour vertu de mettre fin à l'obsession pour ce vote qui monopolisait les débats depuis la démission de Bouteflika. Dans ce cas, un nouveau cycle politique s'ouvrira à l'issue du scrutin, dans lequel le Hirak pourra puiser de nouvelles ressources - et de nouvelles idées. «Pas de marche arrière», scandaient les milliers de jeunes manifestants sortis dans les rues d'Alger mercredi. Aucune élection ne semble en mesure d'étouffer leur révolution.