Menu
Libération
Chronique «Miroir d'outre-Rhin»

Checkpoint Charlie, entre kitsch soviétique, devoir de mémoire et spéculation immobilière

Miroir d'outre-Rhindossier
Chronique sur la vie, la vraie, vue d'Allemagne. Cette semaine, l'avenir du poste-frontière le plus emblématique d'une ville de Berlin aussi pauvre que rongée par la spéculation immobilière. Symbole de la guerre froide, Checkpoint Charlie, situé dans un quartier convoité pour ses possibilités commerciales, devrait accueillir à l'avenir des logements sociaux et un musée sur l'histoire de la guerre froide.
Des touristes posent devant le Checkpoint Charlie, ancien checkpoint entre la partie américaine et soviétique de Berlin, ici en juin 2019. (JOHN MACDOUGALL/Photo John Macdougall. AFP)
publié le 11 décembre 2019 à 8h11

C'est une vérité universellement reconnue que Checkpoint Charlie est l'un des endroits les plus déplaisants de Berlin. Il suscite chez le visiteur un curieux mélange de révolte et de malaisance. Trente ans après la chute du Mur, le poste-frontière le plus célèbre de la ville est devenu un carrefour bourdonnant où se mêlent touristes hilares et selfies avec de faux GI, vendeurs ambulants de kitsch soviétique proposant des Trabant miniatures ou des toques en fausse fourrure à des prix tout sauf est-allemands. Lorsqu'on y arrive depuis l'Est, la photo géante d'un soldat américain nous contemple. Il se nomme Jeffrey Harper et lui aussi est écœuré du cirque qu'est devenu Checkpoint Charlie. L'homme, 52 ans, désormais retraité dans le Midwest, expliquait récemment au Spiegel trouver tout ce folklore «regrettable», ajoutant : «A mon sens, il devrait y avoir une représentation plus appropriée de la confrontation entre les chars américains et russes.»

Le 27 octobre 1961, des chars M48 Patton de l'armée américaine et des chars russes T-55 se font face pendant seize heures à Checkpoint Charlie.

«Checkpoint Cheesy»

Sur la porte du McDo toujours bondé on peut lire «you are entering the American sector», et on peut éventuellement y manger un «Checkpoint Cheesy», un cheeseburger au goût de guerre froide sans doute. C'est comme ça, après avoir été un symbole du Rideau de fer, Checkpoint Charlie est devenu un doigt d'honneur perpétuel au devoir de mémoire.

Ceux qui étaient là avant 89 se souviennent que cet endroit était autrefois glaçant, mais pour d'autres raisons. «L'atmosphère de guerre froide qui régnait là était plus épaisse qu'un film d'espionnage de série B. Les voitures devaient arriver au pas, zigzaguer entre des blocs de béton installés en chicane pour interdire tout passage en force», écrivent Bernard Oudin et Michèle Georges dans Histoires de Berlin (Perrin, 2000).

On ne saura plus ce qu’était Checkpoint Charlie autrement que dans les livres. Même si récemment, à la faveur d’un tour en réalité virtuelle dans le Berlin d’avant la chute du Mur, on a pu s’en faire une petite idée. En lieu et place de l’obscène McDo et des perches à selfie, c’est un autre Checkpoint Charlie qui s’est offert à nous avec son sinistre tunnel, ses néons agressifs, ses couleurs métalliques, ses chiens qui aboient et ses soldats est-allemands suspicieux.

Hard Rock Hotel

Voilà pour le passé. Mais qu’en est-il de son avenir ? C’est comme si ce carrefour était voué à devenir l’éternel objet de bras de fer. Le quartier dans lequel il se trouve, Mitte, est particulièrement touché par la hausse des prix de l’immobilier. Depuis quelques années, les débats sur l’avenir du site se sont enchaînés. L’investisseur propriétaire des lieux souhaitait y faire construire des commerces, et même un Hard Rock Hotel de 372 chambres.

Des membres de la coalition au pouvoir à Berlin ont protesté et se sont battus pour faire voter la construction d’une place publique, d’un musée historique sur la guerre froide et des habitations, dont 30% de logements sociaux. Et c’est ce projet final que le Sénat a fini par entériner, laissant sortir au moins temporairement Checkpoint Charlie de la Disneylandisation.