Il a fait de son patronyme une marque, qui s'étale en majuscules dorées sur la façade de ses gratte-ciel. Promoteur à l'ego démesuré, Donald Trump rêvait déjà, bien avant de conquérir la Maison Blanche, de laisser sa trace dans l'histoire. Ce mercredi, il devrait être servi en devenant, sauf coup de théâtre, le troisième président américain seulement à être mis en accusation («impeachment») par la Chambre des représentants, après Andrew Johnson en 1868 et Bill Clinton en 1998. Comme ses lointains prédécesseurs, Trump est quasiment assuré d'être ensuite acquitté lors d'un procès au Sénat, où les républicains ont promis de le protéger.
Si Donald Trump n'a aucune chance d'être destitué, pourquoi les démocrates ont-ils emprunté le chemin périlleux de l'impeachment ? La présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, y a longtemps été réticente. Trump «n'en vaut pas la peine», balayait-elle en mars. Mais mi-septembre, l'affaire ukrainienne a éclaté, révélant un président disposé à utiliser son pouvoir et celui de la diplomatie américaine pour son propre gain politique. Et ce mercredi, du haut de l'estrade en noyer de la Chambre basse du Capitole, avec en arrière-plan une immense bannière étoilée, c'est bien Nancy Pelosi, troisième personnage de l'Etat fédéral, qui dirigera le vote solennel de mise en accusation de l'ancien magnat de l'immobilier.
Obstruction
«Ceux qui pensent que Nancy Pelosi éprouve le moindre plaisir à mener cette procédure se trompent, assure John Lawrence, qui fut pendant huit ans son chef de cabinet. Elle a toujours su que cette bataille de l'impeachment faisait courir aux démocrates un risque de contrecoup politique. Mais le Président, par ses actions et son refus de coopérer avec l'enquête, ne lui a pas laissé le choix.» Sur CNN début décembre, «Madam Speaker» ne disait pas autre chose : «Vous ne pouvez pas violer la Constitution à la vue de tous. Si nous décidions de ne pas mener à bien [cette procédure], cela reviendrait à dire à tout futur président, démocrate ou républicain, que notre démocratie a disparu, que le Président est roi.»
Après trois mois d'auditions et de débats houleux, deux chefs d'accusation ont été retenus contre Donald Trump par la commission judiciaire de la Chambre : «abus de pouvoir» - pour avoir exercé un chantage sur l'Ukraine, en gelant notamment une aide militaire, afin de la forcer à enquêter sur son possible rival démocrate Joe Biden - et «entrave à la bonne marche du Congrès» - pour avoir fait obstruction à l'enquête parlementaire, en interdisant notamment à son administration de fournir des documents et à plusieurs de ses conseillers de témoigner devant la commission. Ces deux articles d'impeachment seront soumis au vote de la Chambre, où l'adoption se fait à la majorité simple et où les démocrates comptent 36 sièges d'avance.
Voix dissonantes
Il reviendra ensuite au Sénat de se prononcer sur la culpabilité du milliardaire lors d'un procès en destitution qui pourrait se tenir dès janvier. Son organisation déchire déjà les républicains, majoritaires et donc maîtres de la procédure, et leurs opposants démocrates. Dans un courrier au président du Sénat, le républicain Mitch McConnell, le chef de la minorité démocrate, Chuck Schumer, a plaidé dimanche pour un procès «juste et honnête». Il a demandé la convocation de quatre proches du Président, dont son chef de cabinet, Mick Mulvaney, et son ex-conseiller à la sécurité nationale, John Bolton. Une demande rejetée mardi par McConnell. Pour forcer ces comparutions, Schumer devra convaincre 51 sénateurs sur 100. Or le bloc démocrate n'en compte que 47, dont deux indépendants. Et rien n'indique que des républicains soient disposés à voter avec l'opposition, ce qui leur vaudrait à coup sûr les foudres présidentielles.
«Cette procédure a été l'illustration parfaite de l'hyperpolarisation et du sectarisme qui rongent notre vie politique, regrette John Lawrence. Les républicains de la Chambre se sont contentés de faire bloc autour du Président, refusant d'examiner les faits, alors que la plupart des révélations sont venues de membres de l'administration, pour certains nommés par Donald Trump lui-même.» Dans ce contexte où les faits ne semblent plus peser et les lignes ne jamais bouger, à l'image de la cote de popularité très stable du Président, seule demeure la guerre des récits. Et l'objectif, pour chaque camp, de tenir les rangs au maximum. Côté républicain, aucune voix dissonante ne devrait émerger à la Chambre. C'est moins sûr dans le camp démocrate où certains, élus en 2018 dans des circonscriptions remportées par Trump deux ans plus tôt, pourraient voter contre l'impeachment afin de ne pas compromettre leurs chances de réélection.
Alors que la Chambre sera réunie pour l'accuser, Donald Trump, lui, doté d'un incontestable sens du contre-pied, fera le show lors d'un «meeting de Joyeux Noël» dans le Michigan. Dans cet Etat clé de la «Rust Belt» qui, avec le Wisconsin et la Pennsylvanie, lui avait offert la victoire en 2016, le milliardaire devrait vanter son bilan économique, dénoncer la «chasse aux sorcières» des démocrates et exhorter ses partisans à voter à nouveau pour lui en novembre 2020. S'il est réélu, Trump deviendra le premier président américain à briguer et remporter un second mandat après avoir subi l'opprobre de l'impeachment. Historique, avec un grand H.