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Décryptage

Australie : les nouvelles flammes du Sud

L'Australie en feudossier
Températures extrêmes, manque de pluie dans tout le pays, habitations détruites… Alors que les incendies ravagent l’île-continent en ce début d’été austral, les scientifiques pointent le changement climatique.
A Hillville, dans la banlieue de Sydney, en Nouvelle-Galles du Sud, le 12 novembre. La veille, il n’était pas tombé une goutte de pluie dans tout le pays. (Photo Matthew Abbott. The New York Times. Rea)
publié le 22 décembre 2019 à 19h41

Sur les images satellites, la côte Sud-Est de l’Australie disparaît dans une épaisse fumée et sur la carte de la Nasa répertoriant en temps réel les incendies, elle n’est plus qu’un amas de points rouges. Les forêts australiennes brûlent depuis plusieurs semaines, plongeant Sydney dans une brume orangée, mais le week-end qui vient de s’écouler a été exceptionnel. Les pompiers font désormais face à quelque 200 feux qui s’étendent sur cinq provinces et se rejoignent par endroits, créant des couloirs de flammes. 72 maisons ont brûlé rien que dans la province d’Australie méridionale et il ne reste presque rien de la petite ville de Balmoral, située à l’est de Sydney, en Nouvelle-Galles du Sud. Les températures, qui flirtent avec les 47 degrés, et le vent, qui change de direction, laissent augurer d’un début de semaine encore très difficile.

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Ces feux sont-ils exceptionnels ?

Les incendies sont fréquents en Australie pendant le printemps et l’été austral, mais ceux qui ravagent le pays en ce moment sont bien plus importants et plus longs que la normale. 3,1 millions d’hectares sont déjà partis en fumée, une superficie plus importante que la Belgique. En Nouvelle-Galles du Sud, la province la plus touchée, plus de 800 habitations ont été détruites. Il faut remonter à la saison des incendies de 2002-2003 pour trouver trace de dégâts comparables, alors que l’été n’a commencé qu’il y a trois semaines. Les feux se sont déclarés particulièrement tôt cette année, avec 130 foyers déjà actifs début septembre. Ils ont pris de l’ampleur en novembre, alimentés par des vents puissants et changeants, une sécheresse et des températures caniculaires.

Dans ces conditions, n'importe quel incendie peut devenir rapidement incontrôlable. Le service d'incendie et de secours de la Nouvelle-Galles du Sud a beau être un des plus importants au monde, ses 6 800 pompiers ne parviennent pas à réduire les flammes, alors que deux d'entre eux sont déjà morts. «Nous ne viendrons pas à bout de ces feux tant que nous n'aurons pas de véritables pluies, a affirmé samedi le commissaire aux incendies de la région. Nous n'attendons pas de précipitations capables de changer les choses avant janvier ou février.»

Sont-ils liés au dérèglement climatique ?

La question fait l'objet d'une vive controverse en Australie (lire ci-dessus) mais les scientifiques sont, eux, unanimes. «Le changement climatique influence la fréquence et la sévérité des feux de brousse», a rappelé dernièrement le bureau australien de météorologie, en pointant la hausse des températures et la baisse des précipitations. Les trois mois du printemps (septembre à novembre) ont été les plus secs jamais vus dans l'île. Le 11 novembre, aucune goutte de pluie n'est tombée sur le pays, une première depuis le début des relevés. L'été dernier avait déjà été particulièrement chaud et sec, avec des températures 2,1°C au-dessus des normales et près de 30 % de précipitations en moins, asséchant forêts et savanes. Une nouvelle vague de chaleur s'est abattue sur l'Australie ces derniers jours et le record de température moyenne nationale a été battu deux fois de suite la semaine dernière, pour atteindre 41,9° jeudi, soit 1,6 degré de plus que la marque précédente. «Chaque événement météorologique n'est pas un résultat direct du changement climatique. Mais nous pouvons voir des tendances, qui sont sans le moindre doute liées au dérèglement global», a expliqué à la BBC Glenda Wardle, professeure à l'université de Sydney.

Quelles sont les conséquences environnementales des feux ?

Les parcs nationaux sont rongés par les flammes, notamment en Nouvelle-Galles du Sud, où 10 % de la superficie de ces espaces protégés a disparu. Les eucalyptus de la réserve Blue Mountain, située à l'ouest de Sydney, sont particulièrement touchés. Plus grave, la forêt subtropicale humide du Gondwana, qui n'avait jamais été atteinte par les incendies, a brûlé pour la première fois, mettant en danger les réserves de biodiversité qu'elle abrite dans un pays aride. Selon une étude de la Nasa du début du mois, les feux australiens ont relâché dans l'atmosphère 250 millions de tonnes de CO2 depuis août, soit près de la moitié des émissions du pays en 2018.

Surtout, les régions en proie aux flammes ne sont normalement pas celles qui brûlent le plus. Cette année, 78 % des émissions des feux viennent de Nouvelle-Galles du Sud, alors que d'ordinaire, c'est surtout dans le Top End, la zone la plus septentrionale de l'Australie, que l'on trouve les incendies les plus importants. Dans cette zone de savane et de bush, les conséquences ne sont pas les mêmes : la végétation, plus basse, repousse vite et absorbe au passage une grande partie du CO2 émis précédemment par les feux. La situation est différente pour les forêts de la côte Est : il faudra des décennies avant qu'elles ne repoussent et que les arbres puissent absorber le dioxyde de carbone émis pendant les incendies. De plus en plus de scientifiques doutent même qu'ils en soient capables. «Des arbres soumis à un stress hydrique récupèrent moins bien. Et avec le changement climatique, leur croissance pourrait être plus lente, et les feux plus fréquents, ce qui aboutirait à une perte de couverture forestière», explique au Guardian David Bowman, professeur à l'université de Tasmanie.

2019, une année exceptionnelle pour les incendies ?

Amazonie ou Sibérie, Californie ou Espagne, la liste des feux dévastateurs de l'année 2019 est longue. Dans son bilan annuel, le service pour la surveillance de l'atmosphère Copernicus, un programme européen d'observation de la Terre, note : «Nous avons été témoins d'une activité exceptionnelle. Même dans des lieux où nous nous attendions à voir des incendies, l'intensité a été surprenante.» Ainsi en Indonésie, où les feux récurrents de l'été, provoqués par la surexploitation des forêts, ont été les plus importants dans la région depuis deux décennies. Si les émissions de CO2 dues à ces incendies sont importantes (6 375 gigatonnes en un an, contre 43,1 directement émises par les activités humaines en 2019, selon les calculs du Global Carbon Project), elles n'ont pas dépassé le record de plus 8 000 gigatonnes de 2003.