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Libération

Alerte à la «défaunation»

publié le 23 décembre 2019 à 20h56

Lorsqu’on pense mammifères sauvages, ce sont souvent des images de lions ou de rhinocéros qui viennent. Appréciés, lointains et très menacés. Sous nos latitudes la faune sauvage fait moins rêver : entre le sanglier ou le campagnol, qui abîment les cultures, les prédateurs qualifiés de «nuisibles», le loup ou l’ours, dévoreurs de troupeaux. Dans tous les cas, c’est l’homme qui représente le plus grand danger pour ces espèces sauvages.

Et cette situation n'a rien de nouveau. Entre 50 000 et 7 000 ans avant notre ère a eu lieu l'extinction de la moitié des espèces de la «mégafaune» du Quaternaire. En cause déjà, la propagation de l'espèce humaine, la chasse et l'altération des habitats naturels. Depuis, alors que la proportion de mégafaune s'est effondrée, celle des humains et des animaux domestiqués n'a cessé d'augmenter. Résultat, en 2018, le WWF pointait un déclin global de 60 % de l'effectif des populations de vertébrés sauvages entre 1970 et 2014. La philosophe de l'environnement au CNRS Virginie Maris parle de «défaunation», «une autre facette de la crise du vivant sauvage que la disparition des espèces». Cette raréfaction engendre nécessairement des réactions en chaîne sur les plantes, les insectes, les organismes des sols…

Elle est surtout le signe que les humains ont de plus en plus de difficultés à partager la planète avec d'autres espèces qui ne leur seraient pas directement utiles. «Le grand projet de la modernité occidentale est un projet de domestication totale. Le caractère sauvage des animaux sauvages est dans les grandes lignes considéré comme un défi ou comme un affront, poursuit la philosophe. Cela n'empêche pas qu'il y ait des exceptions, des rapports individuels aux milieux naturels ou aux animaux beaucoup plus pacifistes. Mais globalement […], on a beaucoup de mal à considérer la nature comme autre chose qu'un panier de ressources.»

Une situation préoccupante mais pas nécessairement désespérée lorsqu'on observe la sensibilisation citoyenne à la question du vivant et l'efficacité des politiques de préservation ou de réintroduction des espèces. Alors comment expliquer que nos sociétés réservent un sort si funeste aux mammifères sauvages ? «Autant l'animal domestique nous prouve à quel point on a pu humaniser la nature, autant l'animal sauvage nous renvoie au non-contrôle, à cette "part sauvage du monde", explique Virginie Maris. Chacun est différemment équipé pour recevoir ça. Il faut activer, revitaliser l'émerveillement, la curiosité, la fascination en partie parce que cette part sauvage est aussi en nous-même, héritée des centaines de milliers d'années d'évolution.»