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Libération
CHRONIQUE «TERRES PROMISES»

Jésus, un Palestinien comme les autres à Ramallah

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Chaque mardi, instantanés d’Israël et de Palestine, à la découverte des bulles géographiques et mentales d’un territoire aussi petit que disputé. Aujourd’hui, Ramallah, siège de l'Autorité palestinienne, à l'heure de Noël, entre déco bling-bling et Christ «palestinisé».
A Ramallah. (Photo Jean-Michel Delage. Hans Lucas)
publié le 23 décembre 2019 à 21h01

Sur la place de la mairie de Ramallah trône un conifère rutilant de 8 mètres, serti de guirlandes. La capitale malgré elle de la Palestine n’a pas lésiné, ni sur son sapin de Noël ni sur la crèche, avec ses personnages à taille réelle, éclairés au néon violet.

Tout le mois de décembre, le centre de Ramallah, des restaurants chics aux petites boutiques, s’abandonne au kitsch festif, dans une profusion de loupiotes et de fausse neige. Des rennes en plastique galopent sur le fronton des cafés pendant que les pères Noël en chocolat squattent les vitrines.

«Wallah, il y a encore plus de lumières que pendant l'Aïd», la grande fête du calendrier musulman, remarque la vendeuse d'un magasin de vêtements branchés made in Palestine. Paradoxe, alors qu'à Ramallah, comme dans le reste des Territoires, les chrétiens sont une minorité réduite à peau de chagrin, ne représentant plus que 2 % de la population, soit moins de 50 000 personnes.

Certes, les Ramallawi aiment rappeler que longtemps avant de devenir «Oslo» (le cœur politique et administratif du putatif Etat né des fameux accords), l’agglomération n’était qu’un village chrétien, au nord de Jérusalem. Aujourd’hui encore, même s’ils ne représentent au total que moins de 5 % des habitants, les chrétiens sont surreprésentés parmi les élites de la ville, et la tradition veut que l’édile soit toujours l’un des leurs.

Mais cette influence n'explique pas entièrement l'engouement pour le célèbre bambin de la ville voisine Bethléem. Car l'«esprit de Noël», son consumérisme afférent et ses symboles mondialisés, «c'est inspirant, une façon de vivre ce qu'on voit dans les films, de se sentir comme en Europe ou aux Etats-Unis pour quelques semaines», ajoute la vendeuse. Un répit sous la forme d'un dépaysement occidentalisé, dans le berceau de la chrétienté.

«Et puis, faut pas oublier que Jésus était palestinien», lance Mohamed, issu d'une famille musulmane de Jéricho. Slogan moult fois entendu, à l'historicité plus que douteuse. Mais il y a longtemps que la figure du charpentier juif a été «palestinisée» pour les besoins de la cause anti-occupation. Le plus récent exemple en date est la dernière œuvre du pape du street-art, Banksy, une crèche au pied du mur de séparation installée dans son «Hôtel emmuré» de Bethléem. Rappel que les chrétiens sont autant victimes que les autres Palestiniens des restrictions de mouvement. Comme à Gaza, où les permis de sortie pour prier à Bethléem sont chaque année remis en question.

Début décembre, les dignitaires palestiniens invitent diplomates et journalistes à des repas de Noël. Lors du dernier exercice, le Premier ministre, Mohammad Shtayyeh, a de nouveau convoqué la plus grande célébrité locale entre deux piques sur le délitement du processus de paix : «Nous avons tant à apprendre de Jésus, nous qui sommes chanceux qu'il soit né ici. Et chanceux de ne pas être de simples visiteurs.»