Qu’elle assiste à un congrès de la CDU ou à un sommet de l’Otan, qu’elle négocie avec Erdogan, Trump ou Poutine, Angela Merkel se tient les mains de la même manière. Les pouces sont tournés vers le haut, les extrémités des doigts se joignent et le tout forme un losange, ou un diamant si l’on veut.
«Qu'est ce qui n'a pas encore été écrit, spéculé, conjecturé au sujet du losange de Merkel ? se demandait le Rheinische Post en juillet. Pyramide de pouvoir symbolique, gymnastique des doigts, forme de méditation ou signes secrets des Illuminati ?»
Ce geste est Angela Merkel. Par exemple, si vous souhaitez vous déguiser en chancelière allemande lors d'une soirée costumée (chacun ses vices), il suffit de vous procurer une veste de couleur ; une perruque coupée au carré ; enfin, il faut faire le losange avec les mains. C'est tout. C'est parce qu'il est redoutablement simple que ce geste est devenu culte, et parce qu'il est incroyablement polysémique qu'il a fait entrer l'austère Merkel dans la pop culture. Car quelle autre personnalité politique mondiale peut se targuer d'avoir sa propre émoticone ?
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Les historiens modernes datent sa première apparition à 2002, sous l'œil de la photographe du Stern Claudia Kempf. À l'époque, Merkel n'est pas encore chancelière. Ancienne ministre d'Helmut Kohl, elle vient d'être élue cheffe de la CDU. Rompue à la politique, elle n'est pas encore très rodée aux séances photo et à la communication non verbale. «Pendant que je la photographiais, j'ai remarqué qu'elle ne savait pas où mettre ses mains, raconte la photographe au Rheinische Post. Soit elle les laissait pendre le long de son corps, ce qui la faisait paraître un peu impuissante, soit elle les joignait. Je lui ai dit "Non, là vous faites trop fille de pasteur".» Après quelques ajustements, le fameux losange s'impose.
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L'histoire est donc bête comme chou. Sauf que depuis quinze ans, le monde entier ne cesse de s'interroger. Comme la chancelière, le losange merkelien est à la fois discret et vaguement mystérieux – les tabloïds britanniques s'obstinent à y voir un signe maçonnique ou des Illuminati, et le sujet est une véritable obsession pour le Daily Express, qui s'est offusqué en 2017 de ce que la chancelière fasse «le signe du diamant» en recevant la duchesse et le duc de Cambridge à Berlin.
En vérité, ce losange dit tout et son contraire. Symbole de douceur et de fermeté, de fiabilité et de souplesse, il peut être de gauche comme de droite. Il illustre à merveille les ambiguïtés politiques de Merkel : un coup à gauche, un autre à droite… Il a fini par se fondre avec elle parce qu’il est aussi indéchiffrable qu’elle. Il a été au cœur de la communication visuelle de la CDU lors de la campagne pour les élections fédérales de 2013… Mais pour dire quoi ?
Affiche de la CDU pour les élections fédérales de 2013, à Berlin.
Johannes Eisele. AFP
On s'est interrogé récemment sur les ambitions de la cocheffe des Grünen, Annalena Baerbock. Lors du dernier congrès du parti en novembre, on l'a vue faire un geste ressemblant au losange merkelien. Il n'en fallait pas plus pour que la presse lance la machine à spéculations : sera-t-elle candidate à la Chancellerie ?
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«Baerbock s’entraîne-t-elle à faire le losange de Merkel ?»
«Malgré sa faiblesse dans les sondages».
Car une chose est sûre, non seulement le losange de Merkel est devenu au fil des ans un symbole de son pouvoir politique, mais il est plus que possible qu’il survive à son départ.