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Libération

Allemagne : le losange d’Angela Merkel, geste pop et politique

publié le 25 décembre 2019 à 18h41

Qu'elle assiste à un congrès de la CDU ou à un sommet de l'Otan, qu'elle négocie avec Erdogan, Trump ou Poutine, Angela Merkel se tient les mains de la même manière. Les pouces sont tournés vers le haut, les extrémités des doigts se joignent et le tout forme un losange, ou un diamant si l'on veut. «Qu'est-ce qui n'a pas encore été écrit, spéculé, conjecturé au sujet du losange de Merkel ? se demandait le Rheinische Post en juillet. Pyramide de pouvoir symbolique, gymnastique des doigts, forme de méditation ou signes secrets des Illuminati ?»

Ce geste est Angela Merkel. Par exemple, si vous souhaitez vous déguiser en chancelière allemande lors d’une soirée costumée (chacun ses vices), il suffit de vous procurer une veste de couleur ; une perruque coupée au carré ; enfin, il faut faire le losange avec les mains. C’est tout. C’est parce qu’il est redoutablement simple que ce geste est devenu culte, et parce qu’il est polysémique qu’il a fait entrer l’austère Merkel dans la pop culture. Car quelle autre personnalité politique mondiale peut se targuer d’avoir son émoticone ?

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Les historiens modernes datent son apparition à 2002, sous l'œil de la photographe du magazine Stern Claudia Kempf. A l'époque, Merkel n'est pas chancelière, elle vient d'être élue cheffe de la CDU. Rompue à la politique, elle n'est pas encore très rodée aux séances photo ni à la communication non verbale. «Pendant que je la photographiais, j'ai remarqué qu'elle ne savait pas où mettre ses mains, raconte la photographe au Rheinische Post. Soit elle les laissait pendre le long de son corps, ce qui la faisait paraître un peu impuissante, soit elle les joignait. Je lui ai dit : "Non, là vous faites trop fille de pasteur."» Après des ajustements, le fameux losange s'impose. L'histoire est donc bête comme chou. Sauf que depuis quinze ans, le monde s'interroge. Comme la chancelière, le losange merkelien est à la fois discret et mystérieux - les tabloïds britanniques s'obstinent à y voir un signe maçonnique, et le sujet est une obsession pour le Daily Express, qui s'est offusqué en 2017 de ce que la chancelière fasse «le signe du diamant» en recevant la duchesse et le duc de Cambridge à Berlin. En vérité, ce losange dit tout et son contraire. Symbole de douceur et de fermeté, de fiabilité et de souplesse, il peut être de gauche comme de droite. Il illustre les ambiguïtés politiques de Merkel… Au cœur de la communication visuelle de la CDU lors de la campagne de 2013, il a fini par se fondre avec elle.

On s’est interrogé récemment sur les ambitions de la cocheffe des Grünen, Annalena Baerbock. Lors du congrès du parti en novembre, on l’a vue faire un geste ressemblant au losange merkelien. Il n’en fallait pas plus pour que la presse lance la machine à spéculations : sera-t-elle candidate à la chancellerie ?