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Libération
Chronique «Miroir d'outre-Rhin»

Allemagne : y aura-t-il des pétards à la Saint-Sylvestre ?

Miroir d'outre-Rhindossier
Chronique sur la vie, la vraie, vue d'Allemagne. Cette semaine, pour clore une année 2019 en fanfare, intéressons-nous à un sujet de société qui agite les esprits : l'utilisation de pétards à la Saint-Sylvestre. Particulièrement répandue, elle cause tous les ans de nombreux accidents. Se dirige-t-on vers une interdiction ?
Un homme montre les fusées qu'il a achetées pour célébrer le nouvel an, à Berlin, le 28 décembre 2018. (Paul Zinken/Photo Paul Zinken. Picture alliance.DPA)
publié le 31 décembre 2019 à 11h33

Jamais 850 mètres à pied n'auront paru aussi longs qu'en cette soirée du 31 décembre 2017. En descendant du métro Moritzplatz à Berlin, en route pour rejoindre des amis pour un réveillon, ma route fut jonchée de pétards. Un feu d'artifice réservé à ma seule personne, sur 850 très longs mètres. L'expérience fut déplaisante, pour ne pas dire traumatisante. L'odeur âcre, le son qui blesse les tympans, la fumée qui irrite les yeux, les projectiles qui arrivent de n'importe où - l'un d'eux, jeté par un enfant facétieux depuis sa fenêtre, a bien failli m'atteindre le visage. Arrivée à ma soirée au bord des larmes, on m'a dit «Ah mais tu ne savais pas ? Dès le 31 décembre au matin, il faut te calfeutrer quelque part et ne pas bouger avant le 1er janvier à midi.». Cette année-là, dans le Brandebourg, deux personnes sont mortes d'accidents de pétards le soir de la Saint-Sylvestre.

Chaque année, 133 millions d'euros d'explosifs sont vendus en Allemagne pour le tournant de l'année. Et chaque année, le 1er janvier, les médias font le même triste décompte des accidents générés par cette orgie pyrotechnique. Tympans abîmés, doigts en moins, visages défigurés, peaux brûlées. On compte 8 000 blessés en moyenne dans le pays par an rien que pour les blessures auditives.

Mais à l’image d’un autre totem typiquement allemand, la vitesse illimitée sur autoroute, cette tradition pourrait perdre de son attrait au fil des ans. L’utilisation des pétards fait de plus en plus polémique, les campagnes de prévention se multiplient. Ses contempteurs n’ont, il faut le dire, que des arguments de bon sens. Ça blesse, ça pollue, c’est bruyant. Combien d’oiseaux morts, de chiens en panique pour la Saint-Sylvestre ? Les artificiers du dimanche libèrent également en une soirée 5 000 tonnes de particules fines dans l’air, soit l’équivalent de deux mois de trafic routier.

Belles ventes

Cette année, pour des raisons de sécurité, Berlin interdit les feux d’artifice dans trois endroits hautement fréquentés, dont la porte de Brandebourg et Alexanderplatz. Hambourg, Munich, Hanovre ou Cologne font de même dans les zones touristiques, et c’est aussi le cas de la très chic île de Sylt, en mer du Nord, où les pétards sont proscrits sur tout le territoire. Dans la capitale, on recommande aux habitants possédant un balcon de le vider au préalable afin d’éviter les risques d’incendie.

Sauf que les Allemands, comme pour la limitation de vitesse sur autoroute, restent très ambigus sur le sujet. Un sondage publié vendredi indique que 57% d’entre eux sont en faveur d’une interdiction, notamment pour des raisons environnementales. Mais ils sont autant à estimer que cette tradition est étroitement associée à la Saint-Sylvestre… Et si certains supermarchés locaux ont décidé de ne plus en commercialiser, la majorité d’entre eux ne se privent pas de faire d’imposantes campagnes de publicité. Cette année encore, les vendeurs de produits pyrotechniques escomptent de belles ventes. A peu près les mêmes que l’an dernier, en vérité.

A Berlin, mercredi, le flâneur urbain devrait donc, comme tous les ans, se retrouver à zigzaguer entre des monticules d’explosifs usagés et des flaques de vomi, humant une persistante odeur âpre de vieux pétard. Et surtout la santé !