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Libération
Vu de Melbourne

Incendies en Australie : «Notre écosystème s’effondre»

L'Australie en feudossier
Après des semaines de feux dévastateurs, ce samedi s'annonce dramatique, avec des températures extrêmes et des vents violents.
Des personnes sont évacuées de la ville de Mallacoota, dans l'Etat du Victoria, vers des navires de la marine royale australienne, ce vendredi. (Photo Shane Cameron. AFP)
par Valentine Sabouraud, correspondance à Melbourne
publié le 3 janvier 2020 à 13h00

Le salut est venu de la mer. Jeudi, deux bâtiments de l’armée australienne ont été réquisitionnés pour évacuer une partie des 4 000 personnes prises au piège de feux incontrôlables. Depuis plusieurs jours, ces familles massées en ultime recours sur la plage de Mallacoota, dans l’Etat du Victoria, attendaient, les pieds dans l’eau, qu’on leur vienne en aide. Après les gigantesques incendies qui ont ravagé mi-décembre les Montagnes bleues, en Nouvelle-Galles du Sud, décimant 70% d’espaces classés au patrimoine mondial, le cauchemar se poursuit dans le pays-continent alors que l’été ne fait que commencer.

Photo Helen Frank. AFP

5,5 millions d'hectares sont déjà partis en fumée, un bilan provisoire auquel il faut ajouter 19 morts et 28 disparus dans l'Etat du Victoria, où l'état de catastrophe vient d'être déclaré dans neuf régions. Selon une estimation de l'Université de Sydney, 480 millions de mammifères, dont environ un tiers de la population de koalas, ont aussi été victimes des brasiers depuis septembre. Les images de centaines de kangourous fuyant les flammes font frémir les habitants. Pour Arnagretta Hunter, professeure à l'Université nationale australienne, c'est du jamais-vu et ça n'est pas fini : «On annonce 42°C à Canberra samedi, une chaleur assortie de vents violents qui font peser une menace sérieuse sur la capitale fédérale. Je connais des familles qui ont déjà évacué la ville. Nous sommes tous en état d'alerte.» La cardiologue, membre de l'association Doctors for Environment Australia (DEA), pointe aussi la qualité de l'air dégradée par les fumées. Canberra a été la ville la plus polluée au monde durant plusieurs jours, alors qu'aucun feu n'y était déclaré.

«Les gens se jetaient sur l’eau dans les magasins»

En Nouvelles-Galles du Sud, où 137 foyers sont encore actifs, on est sur le pied de guerre en prévision de ce week-end de tous les dangers. De Nowra à la frontière du Victoria et jusqu'à l'ouest de Kosciuzko, une grande partie du territoire a été déclarée «zone d'évacuation», jetant des milliers de personnes sur les routes. D'après Andrew MacDonald, un Melbournais qui passait ses vacances à Pambula, dans le sud de l'Etat, la densité des cendres ne permet pas de voir à 100 mètres, les magasins et stations-service sont pris d'assaut : «Les gens se jetaient sur l'eau, mais les rayons étaient presque tous vides. L'approvisionnement risque encore de se compliquer à cause des routes coupées.» Il a profité de deux jours de répit climatique pour fuir la région. Il a mis 13h30 au lieu des 6h30 habituelles pour rejoindre Melbourne, roulant au pas sur des centaines de kilomètres. «Nous n'avons pas été les seuls à suivre les recommandations diffusées à la télé. Etonnamment, les gens se sont bien conduits : il n'y a pas eu de scènes de panique. Je crois que les automobilistes ont compris que nous devons être solidaires et prendre soin les uns des autres.» Il considère que les leçons du «Black Saturday», journée noire de février 2009 pendant laquelle les incendies ont dévasté le Victoria, causant 173 victimes, ont été apprises : «Aujourd'hui, nous sommes prêts à fuir pour rester en vie. L'injonction passée "rester et protéger [sa maison]", c'est fini.»

Baisse d’impôts et sous-marins

Luca Saunders, 14 ans, membre de School Strike 4 Climate, le mouvement des jeunes mobilisés contre le changement climatique, vit à Blackheath, une ville touristique des Montagnes bleues. Jointe par téléphone, elle explique que le feu a dévasté toute la végétation alentour, n'épargnant que les habitations. Dans sa courte vie, l'adolescente a déjà évacué deux fois sa maison. Ce samedi, elle repartira avec sa petite sœur trouver un refuge à 30 kilomètres de chez elle, ses parents les rejoindront plus tard. «C'est terrifiant d'observer ce qui se passe, mais je crois que les gens sont de plus en plus sensibilisés aux risques liés au réchauffement.» Comme beaucoup, elle porte un masque contre les fumées.

D'après Arnagretta Hunter, les feux actuels sont sans équivalent «par leur magnitude, leur durée et leur impact. Nous avons vécu d'innombrables records de chaleur en 2019, les sols sont asséchés, notre écosystème s'effondre». En colère contre les responsables politiques, à qui les scientifiques martèlent depuis dix ans qu'il faut agir et décarboniser, elle fustige les baisses d'impôts et l'achat de sous-marins, arguant que l'argent aurait mieux servi les pompiers et la gestion des forêts. Surtout, alors que janvier et février sont traditionnellement les mois les plus chauds, elle craint que la Cordillère australienne, véritable poumon planétaire, ne s'embrase complètement.