Debout, poings levés, les députés irakiens ont scandé «oui à Soleimani et Abou Mahdi et non à l'Amérique», comme les foules dans les rues d'Iran et d'Irak depuis quarante-huit heures, endeuillées par l'assassinat de Qassem Soleimani et Abou Mahdi al-Mouhandis, son alter ego irakien. A l'ouverture de la séance extraordinaire du Parlement à Bagdad sur la question du retrait des forces américaines d'Irak, le résultat du vote ne faisait guère de doute. Le boycott de la séance par les députés kurdes et sunnites, malgré les accusations d'être des «traîtres à la patrie», a retardé la tenue de la séance quelques heures sans empêcher sa tenue (168 députés présents sur les 329, soit trois de plus que le quorum) ni remettre en question le résultat dans une Assemblée dominée par les partis chiites pro-iraniens. La résolution votée «demande au gouvernement de mettre fin à la présence de toute troupe étrangère sur le sol irakien, leur interdisant d'utiliser son territoire, son espace aérien et ses eaux, pour quelque raison que ce soit». Elle mentionne au préalable que «le gouvernement révoque sa demande d'aide adressée à la coalition internationale pour combattre le groupe Etat islamique compte tenu de la fin des opérations militaires en Irak et de la victoire achevée».
«Cela vaut mieux pour l’Irak»
Les 5 200 soldats américains présents en Irak forment le plus important contingent des forces de la coalition antiterroriste formée en 2014 contre l'EI, qui venait de conquérir de larges portions du territoire irakien. Une centaine de Français, ainsi que d'autres nationalités participant à la coalition, sont eux aussi concernés par ce départ. Depuis l'éviction des jihadistes en 2017, leur mission consiste essentiellement au soutien et à l'entraînement des forces de sécurité irakiennes. La coalition emmenée par les Etats-Unis a annoncé dimanche, peu avant le vote, suspendre l'entraînement des forces irakiennes et le combat contre l'EI, car elle est «désormais totalement dédiée à protéger les bases irakiennes qui accueillent [ses] troupes». Une décision qui fait suite aux «attaques de roquettes contre ses bases depuis des semaines, qui ont limité nos capacités à soutenir les opérations anti-Daech», précise le communiqué de la coalition. Plus tôt dimanche, l'Otan avait annoncé la suspension de ses missions d'entraînement en Irak. Depuis plus de deux mois, 13 attaques à la roquette, attribuées par Washington aux factions irakiennes pro-Iran, ont visé des intérêts américains en Irak, notamment des bases militaires. Les brigades du Hezbollah, puissante faction pro-Iran, ont appelé samedi les soldats irakiens à s'éloigner «d'au moins 1 000 mètres» des sites où sont présents des soldats américains.
A lire aussi Iran : Trump, la stratégie du coup de menton
«Malgré les difficultés intérieures et extérieures que nous risquons d'affronter, cela vaut mieux pour l'Irak, en principe et en pratique», a affirmé le Premier ministre irakien, Adel Abdel-Mahdi, à propos de la demande de retrait des troupes américaines. S'exprimant devant le Parlement, le chef du gouvernement démissionnaire depuis près de deux mois, à l'initiative du vote de dimanche, a rappelé dans son discours qu'entre 2011 et 2014, après le retrait militaire décidé par Obama des troupes américaines présentes en Irak depuis 2003, les relations irako-américaines s'étaient poursuivies en bons termes.
Juste une demande
Peu avant la séance du Parlement, le ministère des Affaires étrangères irakien a pris des mesures diplomatiques en convoquant officiellement l'ambassadeur des Etats-Unis à Bagdad pour lui signifier une protestation contre le raid qui a tué Soleimani. L'Irak a en outre déposé plainte auprès du Conseil de sécurité de l'ONU pour «violation de sa souveraineté et agression contre des cibles militaires avec assassinat de chefs militaires irakiens et amis».
Un retrait total des Etats-Unis d'Irak est-il désormais acté ? Outre le temps nécessaire à l'évacuation des troupes et au démantèlement des bases américaines sur place, la décision politique n'est pas tout à fait entérinée. La «résolution» votée par le Parlement irakien sur le retrait des troupes étrangères n'a pas force de loi, font valoir les experts et les opposants (les Kurdes en premier lieu). Il ne s'agit que d'une demande adressée au gouvernement, aujourd'hui démissionnaire. La pression, déjà très forte, exercée par l'Iran, sous l'égide justement de Qassem Soleimani, présent à Bagdad ces dernières semaines pour trouver un successeur au Premier ministre, Abdel-Mahdi, va se renforcer. A travers les cortèges de deuil pour les héros assassinés, les Iraniens ont cherché ces derniers jours à reprendre la main sur les lieux des manifestations où ils sont conspués depuis des semaines. Dimanche, des heurts ont eu lieu à Nassiriya, l'une des villes les plus en pointe de la protestation, et un manifestant a été tué. Dans les rues de Bassora, les manifestants se sont adressés simultanément «à l'Amérique et à l'Iran [pour signifier que] la jeunesse irakienne ne servira pas de chair à canon pour vos guerres».