Une longue file de voitures attendent patiemment d’être dirigées vers un énorme entrepôt d’où sortent des camions de la Banque alimentaire du Victoria (sud-est de l’Australie). A travers l’épaisse fumée qui recouvre la région de Melbourne, on distingue à peine les silhouettes des grues, des montagnes de conteneurs aux couleurs délavées et des dizaines de personnes en gilet orange fluo qui s’activent près des hangars.
On est dans le centre névralgique de la lutte contre la faim, en première ligne depuis le début des incendies qui ravagent l'Australie depuis plusieurs semaines et l'Etat du Victoria depuis quelques jours. Le 31 décembre, des feux incontrôlables ont commencé à se propager à une vitesse folle au sud-est de l'Etat. Les neuf régions déclarées en état de catastrophe et les images de familles piégées par les flammes ont suscité un énorme élan de solidarité, incitant la banque alimentaire à ouvrir au public son entrepôt de Yarraville vendredi dernier : une première en 90 ans d'existence. «On nous a demandé d'être l'un des réceptacles de cette générosité, explique David McNamara, directeur général de l'association. C'est pourquoi nous avons décidé d'ouvrir nos portes.»
L'association, qui travaille généralement avec des professionnels, a dû s'organiser pour récupérer, trier et empaqueter les vivres afin d'accueillir les particuliers. L'entrepôt est situé à l'ouest de Melbourne, près de l'autoroute, face au port. Les accès en transport en commun sont compliqués. Cela explique le ballet de voitures, mais aussi de camions, vans et autres engins roulants. Dimanche, la file d'attente s'étalait sur 3 kilomètres. «Quelqu'un est même venu avec une brouette», raconte Ali Morrow, responsable de la communication.
Bateaux et hélicoptères
Ce lundi, l'ambiance est plus calme. Matt, quadra, est venu en 4×4 livrer le fruit d'une collecte organisée par son club hippique. «Ceux qui ont tout perdu ne sont pas responsables de ce qui leur arrive, et c'est dans notre culture de nous aider les uns les autres», affirme-t-il. L'air épuisé par de longues heures de travail, Patrick Coville, un Français employé par la banque alimentaire, confirme entre le chargement de deux palettes : «J'ai vu passer la carte du monde ici ces derniers jours : des sikhs, des Thaïlandais, des Allemands… Les musulmans organisent des collectes dans leur mosquée et transportent tout en camion. Il n'y a pas de sectarisme.» Le pays a été fondé sur le multiculturalisme et la solidarité ici n'a pas d'âge : «Dimanche, raconte Ali Morrow, un enfant a apporté toutes ses économies : 90 dollars [environ 56 euros] remis cérémonieusement.»
Dès l'école, les Australiens sont encouragés à s'investir dans des associations et à lever des fonds pour une cause. Dans l'entrepôt de la banque alimentaire, Will, 12 ans, prête main-forte à sa grand-mère qui le couve du regard. Il explique qu'il était nerveux à l'idée de venir, mais plus maintenant. «Cela fait une heure que je fais des paniers», raconte-t-il. Ces lots permettent de nourrir une famille de quatre personnes pendant cinq jours avec eau, lait, conserves, barres de céréales, mais aussi produits hygiéniques. Ils sont transportés par les six camions de l'organisation auxquels s'ajoutent les bateaux et hélicoptères mis à disposition par l'armée - une décision prise au niveau du Victoria par le Premier ministre de l'Etat, Daniel Andrews. C'est grâce à eux que la banque alimentaire a pu livrer en premier des vivres sur la plage de Mallacoota, où s'étaient réfugiées jeudi 4 000 personnes piégées par les feux. La veille, elle avait aussi pu intervenir très rapidement dans le centre de secours mis en place à Bairnsdale, une ville durement touchée par les incendies.
Ali Morrow précise que les employés ont été mobilisés en priorité mais que beaucoup étaient en vacances. Les bénévoles réguliers ont ensuite été appelés. L'association pioche désormais dans le carnet de volontaires qu'elle a ouvert sur Internet. Dean, 60 ans, vient tous les mercredis depuis huit mois. Il s'est déplacé exprès ce lundi. Il fait une pause dans un coin aménagé avec des tables couvertes de biscuits et de fruits frais. «Je me sens utile et l'ambiance est fun, enfin… façon de parler !» lâche-t-il.
Nourriture et soins
Si David McNamara se félicite de ce sens de la solidarité bien ancré chez les Australiens, il sait qu'après la période de crise, il faudra de longues années aux victimes pour se remettre. Il souligne qu'après avoir fourni nourriture et soins, ce sont les traumatismes psychologiques qu'il faudra prendre en charge.