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Analyse

Nucléaire iranien : un accord froissé mais pas déchiré

Iran—Etats-Unis, l'escaladedossier
Depuis le retour des sanctions américaines en 2018, Téhéran s’affranchit peu à peu du contrôle de son activité atomique, tout en laissant les inspections continuer. Une prudence qui laisse malgré tout une petite  porte ouverte à la diplomatie
Lundi, à Téhéran, la foule a rendu hommage aux hommes tués dans le tir de drone américain. (Photo Ebrahim Noroozi. AP)
publié le 6 janvier 2020 à 21h26

Les autorités iraniennes n’ont pas achevé, dimanche soir, l’accord sur le nucléaire (JCPOA de son acronyme en anglais) conclu à Vienne en 2015. La décision de dimanche était attendue de longue date : il s’agit de la cinquième étape du désengagement progressif et méticuleux entamé en mai par Téhéran, en réponse à la réimposition des sanctions par Washington, qui ne respecte plus l’accord depuis 2018. Mais le contexte n’est plus du tout le même depuis vendredi, date de l’assassinat par l’armée américaine de Qassem Soleimani, le plus puissant général des Gardiens de la révolution.

Cette fois, l’Iran a décidé de s’affranchir de la limite imposée au nombre de centrifugeuses (5 060 dans l’accord de Vienne), tout en entretenant le flou sur les conséquences immédiates. Rien n’est précisé dans le communiqué sur le nombre et les modèles de centrifugeuses concernées (modèles les plus anciens, dits IR1, ou les plus modernes, 40 fois plus performants), donc sur la dimension centrale de l’accord : le temps pour fabriquer une arme atomique. Les clauses du JCPOA garantissaient un délai minimum d’un an.

Sur Twitter, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, cheville ouvrière de l'accord, a insisté sur le caractère «réversible» de cette décision, et des précédentes. Ce qui est plus ou moins vrai. Autant il est facile de revenir au stock maximum d'uranium faiblement enrichi détenu sur le territoire, en exportant le surplus, ou de diminuer le niveau d'enrichissement, qui atteint aujourd'hui 5 % alors que l'accord le bornait à 3,67 %, autant la relance des activités de recherche et développement, opérée en septembre, paraît difficile à inverser, les acquis restant, même en cas de nouvelle interruption.

En revanche, Zarif, tout comme le gouvernement dans son communiqué, prend soin d'écrire que «la coopération avec l'AIEA [l'Agence internationale de l'énergie atomique, qui contrôle les installations nucléaires] se poursuivra comme avant». C'est un point crucial, souligne Benjamin Hautecouverture, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique : «Le régime d'inspection était au cœur des négociations de l'accord : quel serait le périmètre des inspections ? A quel point seraient-elles intrusives ? Ce qui est vérifié en Iran est ce qui se fait de plus sérieux, de plus serré, quel que soit le pays visité.» Ces inspections donnent lieu à des rapports trimestriels de l'Agence, «les seules données tangibles» sur l'état précis du programme nucléaire iranien, émanant d'une organisation internationale et non d'un service de renseignement, insiste le chercheur.

Un peu d’oxygène

Revenir sur le régime d'inspection constituerait un coup fatal à l'accord, ajoute Benjamin Hautecouverture : «L'Iran continue de faire confiance à l'AIEA et de jouer le jeu des inspections, tout en continuant de grignoter l'accord. Cette position est de plus en plus difficile à tenir, les inspecteurs constateront que l'Iran contrevient à ses obligations.» «L'Iran ne s'est pas retiré de l'accord et a souligné qu'il continuerait à garantir un accès de l'AIEA à ses installations. Je pense que les Iraniens donnent un peu d'oxygène à l'accord, même si on se rapproche effectivement de l'effondrement du JCPOA», relève Ariane Tabatabai, politologue à la Rand Corporation. L'accord est aujourd'hui un «zombie», estime sur Twitter Richard Johnson, un ancien diplomate aujourd'hui expert pour l'organisation Nuclear Threat Initiative.

Si elle n’est pas fatale, cette nouvelle violation paraît du moins vaine. Alors que Téhéran veut mettre la pression sur les autres parties à l’accord, les Européens démontrent depuis dix-huit mois leur incapacité à lutter contre le caractère extraterritorial des sanctions américaines. Une impuissance qui les place eux-mêmes en contravention avec l’accord, qui autorisait le commerce dans de nombreux secteurs en échange de la mise sous tutelle internationale du programme nucléaire. Sur le terrain diplomatique, les Européens, notamment la France, ont certes lancé des initiatives pour sauver l’accord, mais sans succès jusqu’ici. La Russie et la Chine, également garantes de l’accord en tant que membres permanents du Conseil de sécurité à l’ONU, se sont moins démenées et n’ont pas non plus offert de canaux pérennes de commerce avec l’Iran.

«Actions violentes»

Dimanche soir, les trois capitales européennes signataires ont appelé l'Iran «à retirer toutes les mesures qui ne sont pas conformes à l'accord nucléaire». Berlin, Londres et Paris font aussi allusion à l'escalade des tensions, depuis l'assassinat de Soleimani, et demandent à Téhéran d'éviter «de nouvelles actions violentes ou d'apporter son soutien à de telles actions». Il semble que la République islamique, dont les plus hautes autorités ont crié vengeance après la mort du haut gradé, n'a pas choisi le terrain nucléaire pour l'assouvir, ou en tout cas, pas dans l'immédiat.