Sidéré par la fuite du «prévenu Carlos Ghosn», le Japon l'est. Humilié ? Il le reconnaît à demi-mot. Vaincu ? Il le réfute. Le patron déchu de l'Alliance Renault-Nissan s'est certes envolé pour Beyrouth au nez et à la barbe du gouvernement et de la justice japonaise, mais cette dernière n'a pas encore abattu toutes ses cartes. Et le bureau des procureurs redouble d'activité. La preuve, mardi soir, dans un communiqué exceptionnel – cela n'arrive pour ainsi dire jamais –, le parquet a annoncé avoir demandé et obtenu auprès du tribunal un mandat d'arrêt à l'encontre de Carole Ghosn, la femme de Carlos.
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«Il y en avait pour cinq à sept ans de procédure au moins»
A ce stade, Carlos Ghosn ne pouvait plus espérer un non-lieu, même si ses avocats japonais ont déposé en octobre une requête en nullité des poursuites. La seule voie possible était un renvoi devant le tribunal. A cette fin, se tenaient depuis mai des réunions dites de «tri avant procès». C'est au cours de celles-ci que les procureurs ont peu à peu mis sur la table les éléments du dossier, mais pas tout, pas encore, car c'est long. «Toutes les pièces à conviction doivent être présentées à ce stade de la procédure. Le procureur ou la défense ne peuvent pas sortir quelque chose de leur chapeau une fois que le procès a commencé», précise l'avocat Yasuyuki Takai, un ex-inspecteur reconverti. Long, trop long pour Carlos Ghosn qui est un homme pressé. Il aurait voulu une formule «procès express», ce que le tribunal a refusé. Le premier calendrier proposé laissait néanmoins entendre qu'il y aurait jusqu'à trois audiences par semaine à compter d'avril, «un rythme de fou, intenable», juge Takai. «Dans tous les cas, avec les appels soit de lui, soit du parquet, il y en avait pour cinq à sept ans de procédure au moins», ajoute l'ex-enquêteur. Qui plus est, le procès n'aurait peut-être pas commencé avant 2021, rien n'était encore définitivement fixé. La perspective de passer encore des années au Japon et le risque élevé d'être condamné sont les raisons qui l'ont sans doute poussé à partir, laisse entendre une relation à Tokyo.
La caution de 12 millions d'euros envolée
En ayant fui, Carlos Ghosn perd déjà la caution de 1,5 milliard de yens (plus de 12 millions d'euros) payée en deux fois. Si le fait de s'évader n'est pas en soi un délit, il peut néanmoins être poursuivi pour l'illégalité des moyens employés, ce qui est en cours d'enquête. Le cas échéant, cela lui vaudra un motif supplémentaire d'accusation. La prescription ne peut jouer pour aucun des chefs d'inculpation, puisque «le compteur de temps s'arrête quand la personne visée est à l'étranger», insiste une source gouvernementale. En attendant, selon ce responsable, «un procès devrait quand même avoir lieu sans lui, pour juger l'Américain Greg Kelly [son ex-bras droit inculpé aussi pour les déclarations de revenus erronés, ndlr], de même que le groupe Nissan», également pénalement responsable.