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Libertés

Collectif des «hors-la-loi» : «Si vous nous mettez tous en prison, qui va faire rayonner votre Maroc ?»

Né à la suite de la condamnation de la journaliste marocaine Hajar Raissouni, le collectif initié par l’écrivaine Leila Slimani et la réalisatrice Sonia Terrab vient de remporter le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes.
L’écrivaine Leila Slimani et la réalisatrice Sonia Terrab ont reçu jeudi à Paris le Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes des mains de sa présidente, Sylvie Le Bon de Beauvoir (au centre). (Photo Gérard Wormser. Sens public)
publié le 11 janvier 2020 à 16h36

Cette année au Maroc, la condamnation de la journaliste Hajar Raissouni, 28 ans, à un an de prison pour un avortement illégal qu'elle a toujours nié et des relations sexuelles hors mariage, avait suscité une vive émotion internationale et donné naissance à un collectif pour la défense des libertés individuelles. Connu sous le nom des «Hors-la-loi du Maroc», il vient de remporter le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes.

Le collectif 490, initié par l'écrivaine Leila Slimani et la réalisatrice Sonia Terrab, fait référence à l'article 490 du code pénal marocain qui punit «d'emprisonnement d'un mois à un an toutes personnes de sexe différent qui, n'étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles». Leur manifeste, publié simultanément sur le Monde, Tel Quel et d'autres médias marocains, est inspiré du manifeste des 343 salopes.

Malgré la sortie de Hajar Raissouni, graciée par le roi Mohammed VI, les articles 449 à 458 du code pénal marocain, criminalisant l'avortement, et l'article 490, pénalisant les relations sexuelles hors mariage, restent toujours en vigueur. C'est pourquoi le combat continue pour le collectif.

«Hajar Raissouni a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase», explique Sonia Terrab tout en admettant que l'arrestation de la jeune journaliste n'est sans doute pas uniquement liée à des affaires de mœurs. Aujourd'hui, 15 000 personnes ont rejoint les premiers signataires du manifeste. La page Facebook du collectif qui compte plus de 25 000 abonnés ainsi que son compte Instagram qui approche les 28 000 relayent des témoignages de centaines de «hors-la-loi» en arabe, en français et en anglais.

Objectif : faire changer la loi

Désormais, l'objectif, avec une nouvelle campagne intitulée «L'amour n'est pas un crime», est d'atteindre les 5 000 signatures pour présenter la pétition au Parlement et exiger que la loi change. Si Sonia Terrab a bien conscience que certains volets ne passeront pas, comme l'abrogation de l'article 490, elle espère néanmoins sa suspension.

La sexualité, le corps, la jeunesse et l'hypocrisie de la société marocaine sont des sujets qui traversent les œuvres des deux artistes. Elles ont toutes deux recueilli les témoignages de femmes marocaines dans l'espace public : Leila Slimani notamment à travers Sexe et Mensonges, un essai sur «la vie sexuelle des Marocains» accompagné d'un roman graphique sur le même sujet (aux éditions Les Arènes), et Sonia Terrab dans des capsules vidéo, Marokkiat.

«On nous apprend à mentir, à avoir honte, à faire des choses sans le dire, à vivre cachées… La vérité c'est que nous sommes tous hors-la-loi», a réagi Leila Slimani en recevant, jeudi, le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes à la Maison de l'Amérique latine à Paris. Et de poursuivre : «Au début les personnes qu'on a contactées ont eu peur d'être taxées de bourgeois occidentaux, on a eu quelques attaques, des gens qui ont dit qu'on n'était pas prêt, que le féminisme n'est pas de chez nous mais finalement le débat lancé est très sain.» Sonia Terrab évoque quant à elle «une jeunesse assoiffée de liberté qui veut rire, danser, se toucher, aimer».

«Après l'arrestation de Hajar Raissouni, je me suis sentie en détresse. Je n'en pouvais plus de cette résignation qui nous broie au quotidien. Au Maroc, par exemple, 90% des femmes que je connais ont déjà avorté. Au début, le manifeste devait porter uniquement là-dessus mais on a finalement décidé d'inclure les relations sexuelles hors mariage», raconte la cinéaste. En une dizaine de jours, le collectif a réussi à rassembler plusieurs artistes et intellectuels marocains en faisant jouer le bouche-à-oreille. «L'idée, c'était d'envoyer un message fort au Maroc, très jaloux de son image à l'étranger. L'idée c'était de dire aux autorités : si vous nous mettez tous en prison, qui va faire rayonner votre Maroc ?»

Les deux lauréates, qui insistent sur la dimension politique de cette répression des corps et de l’humiliation qui en découle, espèrent contribuer à changer les mentalités en changeant la loi. Même si, et elles le savent, le chemin sera long.