«Le peuple est notre maître […] et nous sommes ses serviteurs.» Revoilà Hassan Rohani et son verbe fédérateur. Dans une adresse à la nation, diffusée à la télévision ce mercredi matin, le président iranien a voulu jouer l'apaisement, invoquant la nécessaire «unité nationale» et la «réconciliation». Ce discours, après quatre jours de manifestations contre le pouvoir en raison de ses mensonges sur l'origine du crash du Boeing d'Ukraine International Airlines, abattu par erreur par les forces armées iraniennes et non tombé accidentellement comme initialement expliqué, n'était pas dénué d'arrières pensés politiques, comme Rohani l'a lui-même reconnu.
Pour recoller les morceaux d'une société maltraitée par les sanctions américaines, par les forces de sécurité qui répriment brutalement toute contestation, comme en novembre 2019, et dernièrement par le risque de conflit ouvert avec les Etats-Unis, le président iranien mise sur les élections législatives qui doivent se tenir en février, à condition, a-t-il insisté, que «tous les partis et groupes [soient autorisés à] se présenter aux urnes». Y compris les candidats modérés et réformateurs, qui forment le gros de ses soutiens, mais que le Conseil des Gardiens, sorte de Conseil constitutionnel de la République islamique, a l'habitude de disqualifier.
Impunité apparente
«Les gens veulent s'assurer que les autorités les traitent avec sincérité, intégrité et confiance», a plaidé Rohani, en écho à la contestation qui secoue plusieurs grandes villes du pays depuis samedi. Pour l'heure, aucune sanction n'a été prise par le pouvoir contre les responsables du drame. Le porte-parole du pouvoir judiciaire a bien annoncé «plusieurs arrestations», sans donner plus de détails. Mardi, le président iranien avait appelé à la constitution d'un tribunal spécial pour juger les coupables. Selon le récit officiel, un seul militaire aurait pris seul la décision d'abattre l'avion civil, croyant cibler un missile américain.
Cette impunité apparente, ajoutée au mensonge du pouvoir qui n'a changé de version qu'une fois acculé, a alimenté la colère populaire. A laquelle les autorités ont répondu par la force, selon Amnesty International. L'ONG de défense des droits humains a dénoncé mercredi un usage «illégal de la force» et une «violente» répression, au moyen de «balles caoutchoutées, de gaz lacrymogène et de spray au poivre», mais aussi de tirs de grenaille. Mardi, le chef de la police de Téhéran avait démenti que ses hommes aient ouvert le feu sur les manifestants, affirmant avoir reçu des «ordres de retenue». Toujours selon Amnesty, la répression avait fait plus de 300 morts en novembre.
Lettre ouverte implacable
Lors de ce mouvement social, comme depuis samedi, la contestation a visé directement le Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, alors que le gouvernement de Hassan Rohani, qui a déçu même ses fidèles soutiens, est perçu comme trop «faible pour faire des changements», selon les confidences d'un analyste réformateur au Financial Times. «Le Guide suprême est aussi le commandant en chef des forces armées iraniennes, y compris des Gardiens de la révolution. Par conséquent, la responsabilité ultime de toute erreur faite par n'importe quelle branche de l'armée iranienne lui incombe, analyse la chercheuse Shireen Hunter sur le site Responsible Statecraft. De plus, le Guide est notoirement en symbiose avec les Gardiens de la révolution. […] Ils sont engagés à perpétuer la révolution, quel qu'en soit le prix. Aux yeux de nombreux Iraniens, ils partagent donc une responsabilité dans les malheurs actuels du pays.»
Mehdi Karroubi, figure de l'opposition intérieure assignée à résidence depuis 2011, a publié une lettre ouverte implacable à l'adresse de Khamenei : «Si vous étiez au courant [que l'avion avait été abattu par un missile iranien] et que vous avez autorisé des responsables militaires et de la propagande à tromper à dessein la population, malheur à vous qui manquez sans aucun doute des qualifications requises pour diriger le pays selon la Constitution. Et si vous n'étiez pas au courant, dites-nous s'il vous plaît quel genre de "commandant en chef" de toutes les forces armées vous êtes.» Pour la première fois depuis huit ans, le Guide dirigera la grande prière hebdomadaire, vendredi à Téhéran.