Menu
Libération
Chronique «British Stories»

Au Royaume-Uni, querelles de clochers avant le Brexit

Sonner ou ne pas sonner les cloches ? Les Britanniques s'écharpent sur la façon de célébrer la sortie du pays de l'Union européenne, le 31 janvier.
La tour Elizabeth, abritant la cloche Big Ben, à Londres, en août 2017. (Photo Daniel LEAL-OLIVAS. AFP)
publié le 16 janvier 2020 à 10h20

Il y a la reine, le Megxit et le Brexit et puis, il y a les cloches. Les grosses et les petites, les discrètes et les lourdingues, celles des églises et des chapelles de tout le royaume et puis, évidemment, la cloche de Big Ben. Il y a les cloches et une question existentielle : les sonner ou ne pas les sonner ? Une fois de plus, le pays est divisé. Le Brexit sera effectif le vendredi 31 janvier prochain, à 23 heures, heure locale (minuit chez les ennemis, sur le continent). Pour les fervents adeptes du divorce européen, cette journée – ou le lendemain, 1er février – marque l'indépendance, la rupture des terribles chaînes qui, ils en sont convaincus, empêchent le pays de tourner rond depuis quarante-sept ans.

Ils l’assènent haut et fort, il faut marquer le coup, célébrer cette journée historique. Et faire tintinnabuler les cloches de tout le pays pour célébrer. Et en premier lieu Big Ben, pourtant muette pour cause d’échafaudages et de travaux de réfection intenses. Un débat a même eu lieu au Parlement, où la conclusion a été que remettre en état de marche le système de l’horloge accrochée dans la tour Elizabeth du palais de Westminster reviendrait bien trop cher (500 000 livres sterling) au contribuable britannique.

Rassemblement sur Parliament Square

Poussé par certains de ses députés surexcités comme Mark François, rouge écarlate en continu depuis trois ans et demi tant il s’énerve sur sa journée d’indépendance, le Premier ministre, Boris Johnson, a laissé échapper qu’une ouverture de fonds publics était peut-être envisageable pour financer un ding-dong de Big Ben le 31 janvier. Mais le temps presse, il ne reste que quinze petits jours avant le D-Day.

Parallèlement, les partisans du Brexit ont appelé à un concert de cloches de toutes les paroisses du pays le samedi 1er février. «Comme nous l'avons fait pour marquer la victoire des Alliés en Europe en 1945, nous appelons tous les patriotes à sonner les cloches de leurs églises locales à 9 heures le samedi 1er février pour célébrer l'indépendance retrouvée du Royaume-Uni», a solennellement demandé le groupe activiste Leave.EU. Nigel Farage, M. Brexit avant que Boris Johnson ne lui arrache le titre, a pour sa part obtenu l'autorisation d'un rassemblement le 31 janvier sur Parliament Square, devant Big Ben donc, où «chansons, musique et discours» célébreront «l'indépendance».

Le souci, c’est qu’à la différence de 1945 et quoiqu’en pensent les Brexiters, le Royaume-Uni ne sort pas d’un conflit meurtrier de cinq ans et la liesse n’est pas partagée par l’ensemble du pays.

Gigue

La confédération des sonneurs de cloches, fondée en 1891, s'oppose ainsi catégoriquement à toute gigue des cloches du royaume. «Il existe des moments historiques au cours desquels les cloches ont sonné, comme la fin des guerres mondiales, mais la confédération a pour principe de ne pas approuver la sonnerie des cloches pour des raisons politiques», a assené l'organisation. L'évêque de Buckingham, le révérend Alan Wilson, est allé plus loin en rappelant que «deux tiers de la population n'a jamais voté pour le Brexit. Sonner les cloches pour une telle occasion serait un facteur de division profonde. Les églises sont là pour représenter l'ensemble de la communauté, pas pour une faction politique qui veut la ramener face à ceux qu'elle a battus».

La polémique pourrait encore se corser avec l'appel de certains, dont Arron Banks, financier de la campagne Leave, à ne pas tenir compte de l'avis de la congrégation des sonneurs de cloche. Il a affirmé avoir été «inondé» par les appels de 150 personnes (sur 66 millions de Britanniques), pour «sonner les cloches, avec ou sans permission». Independence Day s'annonce musclé et, peut-être, sonore.