Deux figures bien connues du public américain ont rejoint l'équipe de défense du président Trump pour son procès en destitution qui commence ce mardi au Sénat. L'ex-procureur Kenneth Starr, l'un des protagonistes de l'affaire Lewinsky, et le constitutionnaliste Alan Dershowitz, commentateur en plateaux télés et avocat, entre autres, d'O.J. Simpson et Jeffrey Epstein. Dans un mémorandum de 110 pages soumis lundi à la Chambre haute du Congrès, ils ont appelé cette dernière à «rejeter l'acte d'accusation et acquitter le président immédiatement». Leur mission consiste également et peut-être surtout, à maîtriser la communication en dehors du Sénat, dans la guerre des récits qui fait rage. En pleine campagne pour sa réélection, le président a été mis en accusation mi-décembre par la Chambre des représentants pour «abus de pouvoir» et «entrave à la bonne marche du Congrès» dans le cadre de l'affaire ukrainienne.
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Défense
Kenneth Starr, entré dans la postérité en tant que procureur spécial sur l'affaire Lewinsky, qui déclencha la procédure en destitution contre le président Bill Clinton (au terme de laquelle il fut acquitté), a depuis exercé comme avocat, professeur ou recteur d'université. «C'est clairement le genre de journée où tu te dis "Vous vous foutez de ma gueule ?"», a réagi sur Twitter l'ancienne stagiaire de la Maison Blanche à l'annonce de cette nomination.
this is definitely an “are you fucking kidding me?” kinda day.
— (((Monica Lewinsky))) (she/her) (@MonicaLewinsky) January 17, 2020
Dershowitz a lui cherché à minimiser son rôle dans la procédure contre Trump. Selon un communiqué de l'équipe de défense, l'avocat devrait se contenter de faire une présentation orale pour «donner les arguments constitutionnels contre la mise en accusation et la destitution» du président. Les deux hommes seconderont l'avocat de la Maison Blanche, Pat Cipollone, plus discret et moins connu, et l'avocat personnel de Trump, Jay Sekulow. Trump est accusé d'avoir fait pression sur son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky pour qu'il annonce une enquête anticorruption contre l'ancien vice-président démocrate Joe Biden. Le versement d'une aide militaire américaine à l'Ukraine, cruciale pour ce pays en conflit armé avec son voisin russe, aurait été conditionné à l'annonce de ces investigations. Dans le but, accusent les démocrates, de nuire à la campagne de Biden, adversaire potentiel de Trump à la présidentielle de novembre. «Le président Trump n'a rien fait de mal et a confiance que son équipe le défendra, ainsi que les électeurs et notre démocratie, contre cette procédure en destitution illégitime et sans fondement», maintient la Maison Blanche.
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Alan Dershowitz, qui avait publié dès l'été 2018 un ouvrage contre la destitution du président (The Case Against Impeaching Trump), a déjà commencé à avancer la ligne de défense qu'il devrait utiliser devant les élus du Congrès. Même s'il était démontré que Trump a bien tenté d'imposer un donnant-donnant au président ukrainien, ce ne serait pas un crime, affirme-t-il. «L'abus de pouvoir n'est pas un motif constitutionnel d'impeachment, a-t-il insisté dimanche sur ABC. C'est tellement vague que la moitié des présidents américains, d'Adams à Jefferson, de Lincoln à Roosevelt, ont été accusés par leurs ennemis politiques d'abuser de leur pouvoir.» Si le choix de ces deux figures est la garantie, pour le président, d'un service après-vente efficace sur les chaînes d'info en continu, il n'est pas sans soulever critiques et questions, même au sein du camp républicain. De nombreux extraits vidéos, notamment à propos de l'impeachment de Clinton, refont surface depuis leur nomination, dans lesquels ils contredisent totalement les positions qu'ils défendront au Sénat. «Il est certain que le motif de crime n'est pas nécessaire pour que quelqu'un corrompe complètement la fonction de président et abuse la confiance, constituant un grave danger pour notre liberté», arguait Dershowitz en 1998.
Critiques
Le démocrate Adam Schiff, qui fera office de procureur général au Sénat, a ironisé sur cette «seule nouveauté dans la défense du président», parce que ses avocats «ne peuvent pas contester les faits». Il a estimé sur ABC que l'abus de pouvoir était «au cœur de ce que les pères de la Constitution considéraient comme passible de destitution». Outre ces contradictions, les biographies des deux avocats ne manquent pas de controverses. En 2014, Dershowitz a été accusé d'avoir abusé sexuellement d'une mineure dans le cadre du trafic de jeunes filles organisé par et pour Jeffrey Epstein, son client qui s'est suicidé en prison en août. L'avocat nie ces accusations. Quant à Kenneth Starr, il avait dû quitter ses fonctions de président d'université en 2016, critiqué pour sa gestion d'une affaire d'agressions sexuelles sur le campus. Sa nomination ne manquera pas de rouvrir le débat, jamais vraiment clos, autour de la légitimité de l'impeachment de Clinton. Trump lui-même avait questionné le zèle de Starr dans cette procédure, le traitant de «cinglé» dans une interview de 1999. Mais le président semble avoir changé d'avis, affirmant aujourd'hui apprécier ses passages à la télévision. Jusqu'à sa nomination, Kenneth Starr était un commentateur récurrent sur Fox News, la chaîne préférée de Trump.