Le «moment Chirac» : les journalistes en rêvaient, les diplomates le redoutaient, Emmanuel Macron l’a fait. Mercredi après-midi, à la veille du cinquième forum de la Shoah à Jérusalem et en point d’orgue d’une «déambulation improvisée» dans la Vieille Ville, le président français s’est offert un remake du fameux coup de gueule de son prédécesseur. Au moment d’entrer dans le domaine de Sainte-Anne, territoire français, le chef de l’Etat s’est emporté contre les policiers israéliens qui s’étaient introduit au-delà des lourdes portes en bois de ce qui est officiellement un bout d’Hexagone en Terre sainte.
Grosse voix, accent franglais outré, il tonne : «Calm! Nobody has to provoke nobody! We had a wonderful walk in the city. Now, please respect the rules as there are for centuries. They will not change with me, I can tell you.» («Du calme. Personne n'a besoin de provoquer personne. Nous avons fait une promenade merveilleuse dans la ville. Maintenant, respectez les règles qui existent depuis des siècles. Elles ne vont pas changer avec moi, je peux vous l'assurer.»)
Pagaille
On pourra préférer l’original à la copie, et ergoter sur la spontanéité du moment, reproche que l’on pouvait aussi faire au célèbre emportement chiraquien en 1996. Une certitude : le Président a fait des confettis du programme officiel, qu’on prévoyait très compassé. Emmanuel Macron ne devait marcher que 70 mètres dans la Vieille Ville - considérée par la communauté internationale comme occupée par Israël - soit la distance entre la porte des Lions et l’entrée de Sainte-Anne.
Attendu chez les Pères blancs qui tiennent cette église, pour évoquer les chrétiens d’Orient, le chef de l’Etat a préféré, au dernier moment, s’offrir une longue balade dans les ruelles millénaires, saluant les marchands du souk et se rendant au Saint-Sépulcre, flanqué du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, et du député des Français de l’étranger Meyer Habib. C’est à ce moment qu’il fait savoir qu’il veut se rendre sur les deux autres lieux saints de Jérusalem, le mur des Lamentations et l’esplanade des Mosquées.
L’idée de ce tour des monothéismes lui serait venue en début de journée, juste après sa rencontre avec l’opposant centriste de Benyamin Nétanyahou, Benny Gantz. La matinée avait en effet été consacrée à des entretiens de pure forme avec le Premier ministre israélien, le président Reuven Rivlin et enfin l’ex-général Gantz.
Au débotté, cette insistance à «marcher librement» est la promesse d'un beau balagan ou d'un faouda diplomatico-sécuritaire, bref, la pagaille en hébreu comme en arabe, les entrées sur l'esplanade faisant l'objet de subtils - et inflammables - accords entre la Jordanie et Israël. En novlangue macronienne, dans la délégation française, ça donne, entre deux sueurs froides : «Il veut faire un happening Mur-Esplanade ? Mais what the fuck ?»
Confusion
Les contraintes locales, le subtil rapport de force politico-religieux, le protocole, Jupiter en Terre sainte voit au-delà, dans ce «palimpseste» qu'est Jérusalem, «un si petit endroit source de si grands jaillissements…», s'enflamme-t-il. Et de poursuivre : «A une époque où notre monde se déchire et où le fait religieux déchire souvent, [les religions] sont ici réconciliées et [elles] le sont depuis des siècles. On a vu ici, autour du Saint-Sépulcre, plusieurs familles, chrétiens d'Orient, et dans cet épicentre de la chrétienté, le vivre-ensemble, à quelques mètres de l'esplanade des Mosquées et du mur…» Pour le Président, «c'est aussi le rôle de la France de rappeler qu'il est aussi possible d'avancer ensemble et c'est même notre sort commun. Dans cette ville plus qu'ailleurs, mais pour notre pays et beaucoup d'autres.»
Au soleil couchant, le voilà donc devant le scintillant Dôme du Rocher, alors que le chant du muezzin retentit. Il s’arrête à l’entrée du sanctuaire, où une prière a lieu, et repart avec une belle photo encadrée de l’intérieur du site. Pendant ce temps, à Ramallah, où il est attendu, le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas patiente.
De l’autre côté d’un autre mur, celui qui sépare Israël des Territoires occupés, les gardes palestiniens, en habit d’apparat vert bouteille, restent alignés devant l’entrée de la Mouqata’a.
Qu’importe, la nuit est tombée, et Macron, kippa noire sur le haut du crâne, est maintenant devant le mur des Lamentations, la main posée contre la pierre. Les femmes journalistes, en vertu de la non-mixité du lieu, restent sur le côté, la zone ayant été évacuée par les autorités israéliennes. Le Président s’aventure alors sur les lieux des fouilles controversées adjacentes au mur des Lamentations.
La rencontre avec Abbas a finalement lieu après le dîner au palais présidentiel israélien. Il est 22h30 à Ramallah, juste à temps pour une accolade franche avec le vieux «raïs», chaudement couvert. Le comble aurait été qu’Emmanuel Macron, en voulant imiter Chirac, l’idole du monde arabe, finisse par vexer les Palestiniens…