Aux trois coups de marteau du président de la Cour suprême des Etats-Unis, John Roberts, chargé de diriger les débats, le procès en destitution de Donald Trump s'est ouvert mardi après-midi au Sénat. Silence solennel dans la chambre haute du Congrès : les 100 sénateurs, qui ont juré il y a cinq jours de rendre la justice de «manière impartiale», sont obligés de se taire «sous peine d'emprisonnement», a rappelé un haut gradé chargé du protocole. Le 45e président des Etats-Unis, le troisième de l'histoire à subir un tel procès après Andrew Johnson (1868) et Bill Clinton (1999), n'est lui pas présent aux audiences.
A lire aussi L'impeachment entre dans sa phase Sénat
Les débats ont duré plus de douze heures et se poursuivaient encore, tard dans la nuit de mardi à mercredi. Cette première journée de procès s'est concentrée sur d'âpres et interminables batailles procédurales. L'intégralité des élus républicains a systématiquement bloqué les amendements introduits par le chef de la minorité démocrate, Chuck Schumer. Ceux-ci réclamaient des documents de la présidence et du département d'Etat, ainsi que l'assignation à comparaître de quatre témoins clés, points essentiels qui pourraient être à nouveau débattus plus tard. Pour chaque vote mardi, un même décompte : «53 contre, 47 pour». Un strict respect des lignes partisanes du Sénat qui donne le ton des débats pour les jours à venir. Et une idée de l'issue du procès en destitution de Donald Trump, à dix mois de la présidentielle et en pleine campagne pour sa réélection. Avec leur majorité, les républicains peuvent remporter tous les votes de procédure, et l'acquittement du Président. Pour le destituer, il faudrait une majorité des deux tiers.
«Parodie de procès»
«Nous avons besoin de quatre républicains qui soient prêts à choisir le camp de la justice, avait pourtant insisté Chuck Schumer. Les sénateurs républicains vont être confrontés à un choix : connaître les faits ou rejoindre Mitch McConnell [le chef des républicains au Sénat, ndlr] et le président Trump dans leur tentative de dissimulation.» McConnell n'a en effet pas caché travailler «en totale coordination» avec la Maison Blanche. Accusé par les démocrates de vouloir expédier le procès au pas de course, et face à l'inquiétude de certains élus républicains, il a toutefois concédé à étaler un peu plus les débats dans le temps, et éviter qu'ils ne se déroulent en pleine nuit. Les House managers, ces élus de la Chambre qui font office de procureurs, auront trois jours, et non deux comme initialement annoncé, pour présenter les charges retenues contre le président américain. Même chose pour l'équipe de défense du Président, pour les réfuter. Les sénateurs auront ensuite seize heures pour poser leurs questions. Le camp républicain espère obtenir un acquittement rapide. Sans témoin ni documents supplémentaires, a averti le démocrate Adam Schiff, chargé de porter l'accusation, «ce sera une parodie de procès», qui pourrait s'achever dès fin janvier. Si finalement les deux camps parviennent à s'entendre sur l'assignation des témoins, la procédure pourrait durer plusieurs semaines.
Donald Trump a été mis en accusation («impeached») mi-décembre par la Chambre des représentants, pour «abus de pouvoir» et «entrave à la bonne marche du Congrès» dans le cadre de l'affaire ukrainienne. Le président américain aurait fait pression sur son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, pour qu'il annonce une enquête anticorruption contre l'ancien vice-président démocrate Joe Biden. Le versement d'une aide militaire américaine à l'Ukraine, cruciale pour ce pays en conflit armé avec son voisin russe, aurait été conditionné à l'annonce de ces investigations. Dans le but, accusent les démocrates, de nuire à la campagne de Biden, adversaire potentiel de Trump à la présidentielle de novembre.
«Le président se place au-dessus des lois»
Profitant de l'attention nationale – les débats étant retransmis en direct sur de nombreuses chaînes de télévision –, les deux camps ont utilisé le bras de fer procédural pour commencer à présenter leurs arguments. Pour l'avocat de la Maison Blanche, Pat Cipollone, l'acte d'accusation est «non seulement ridicule, mais aussi dangereux pour notre République». «Il est temps de démarrer» le procès «pour pouvoir mettre fin à cette mascarade ridicule», a-t-il tempêté. La défense du Président ne conteste pas que Trump a demandé une «faveur» à son homologue ukrainien ; les avocats ont même joint la transcription du coup de téléphone de juillet entre les deux dirigeants, au cœur de l'affaire, au dossier de défense transmis au Sénat. Mais selon Cipollone, le président «n'a fait absolument rien de mal». Les accusations seraient sans fondement, et reviendraient à pénaliser la prérogative du président de mener sa politique étrangère comme bon lui semble. A contre-courant des analyses de l'écrasante majorité des constitutionnalistes américains, l'équipe de défense de Trump prétend également que l'impeachment de décembre est anticonstitutionnel, parce que l'acte d'accusation n'expose aucune violation spécifique de la loi.
C'est «précisément avec ce type de conduite en tête – conduite qui abuse du pouvoir de sa fonction pour son bénéfice personnel, qui sape notre sécurité nationale et qui invite des interférences étrangères dans le processus démocratique d'une élection», que les pères fondateurs des Etats-Unis ont inscrit la procédure de destitution dans la Constitution, a rétorqué Adam Schiff. «Le président se soustrait à toute responsabilité et se place au-dessus des lois: il ne peut pas être inculpé, il ne peut être destitué. Cela en fait un monarque, exactement le danger contre lequel est censée nous protéger la Constitution», a-t-il rappelé. Pour son collègue Hakeem Jeffries, Trump ferait passer l'ancien président républicain Richard Nixon, qui démissionna avant même sa mise en accusation par la Chambre dans l'affaire du Watergate, «pour un enfant de chœur».