C’est un retour sur la pointe des pieds qui témoigne d’un climat délétère au sein de l’extrême droite autrichienne. Leader déchu du FPÖ, une des formations extrémistes les mieux enracinées en Europe, Heinz-Christian Strache a fait état, jeudi soir à Vienne, de ses envies de come-back en politique. Il s’est déclaré prêt à se présenter à la tête d’un nouveau parti, pour les élections municipales qui doivent se tenir dans la capitale autrichienne au plus tard à l’automne.
La perspective de ce retour à la tête d’un groupe de dissidents est un nouveau coup dur pour le FPÖ. Le parti est dans la tourmente depuis le mois de mai et le scandale de l’«Ibizagate» qui a causé la fin de sa participation gouvernementale aux côtés des conservateurs du chancelier Sebastian Kurz. Aux élections législatives anticipées de septembre, le parti d’extrême droite a recueilli à peine plus de 16% des suffrages, soit une perte de près de 10 points par rapport à 2017. Les sondages lui prédisent un mauvais résultat lors d’un scrutin régional dans la région du Burgenland, dimanche.
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Pourtant, au printemps, le parti était au sommet de sa gloire. Quatre de ses cadres occupaient des fonctions ministérielles et son chef de ligne, «HC» Strache, était vice-chancelier. Mais le 17 mai, deux médias allemands publient des extraits d’une vidéo tournée en 2017 sur l’île d’Ibiza, montrant Strache et un de ses proches et élu FPÖ, Johann Gudenus, proposer des marchés publics à une fausse oligarque russe en échange de fonds occultes. Strache démissionne alors de la vice-chancellerie, le gouvernement chute.
Note de frais
Dans la parenthèse qui s’ouvre avant que de nouvelles élections ne puissent être organisées, en septembre, les affaires se succèdent. Mi-août, le parquet anticorruption ordonne des perquisitions aux domiciles de Strache et de Gudenus. Les magistrats les soupçonnent d’avoir promis des avantages politiques à Casino Austria, le groupe qui gère les casinos du pays, en échange d’un poste de directeur financier pour l’un de leurs camarades.
Puis les médias publient des enquêtes sur un système présumé de financements illégaux du FPÖ (ainsi que d’autres partis). En novembre, la découverte de trois cassettes remplies de lingots d’or dans une pension tyrolienne appartenant au parti relancera les interrogations sur l’origine de ses financements.
Mais c’est l’affaire dite «des notes de frais» qui a le plus choqué l’électorat. Six jours avant les législatives du 29 septembre, les Autrichiens apprennent cette fois qu’une enquête a été ouverte sur des soupçons de détournement de fonds. «HC», le tribun qui se posait en défenseur des petites gens, aurait financé son train de vie luxueux en faisant endosser à son parti des factures trafiquées. Il est question de 10 000 euros par mois. Le jour du scrutin, le FPÖ obtient son pire score depuis 2006.
«L’incapacité à gouverner»
Après des semaines de tergiversation, Strache est finalement expulsé du parti à la mi-décembre. Le nouveau chef de la formation parle d'une «libération». En mettant à l'écart son ancien compagnon de route, Norbert Hofer espère effacer définitivement le souvenir de l'Ibizagate.
C'est bien «la folie de M. Strache» qui a coûté au FPÖ sa place au gouvernement, estime la cheffe du service reportage de l'hebdomadaire viennois Falter, Nina Horaczek, par ailleurs politologue et spécialiste de l'extrême droite. Pourtant, toutes les dérives mises au jour ces derniers mois sont-elles le fait d'un seul homme ? En 2006, la première participation du parti à un gouvernement s'était déjà soldée par un scandale et la débâcle électorale, trois ans avant le début de l'ère Strache.
«Le FPÖ est un parfait exemple de l'incapacité des populistes à gouverner», analyse Nina Horaczek. Peter Sichrovsky, ex-secrétaire général du FPÖ, discerne pour sa part un problème structurel au sein de son ancienne organisation : elle manque de cadres compétents dans ses rangs, elle est trop dépendante de la personnalité de son leader, que celui-ci s'appelle Jörg Haider, jusqu'en 2000, ou Strache. Néanmoins, «la criminalité n'est pas l'apanage d'un seul camp politique».
Le nombre d'affaires dans lesquelles est actuellement impliquée l'extrême droite autrichienne reste toutefois impressionnant. «2019 a été une année catastrophe pour le FPÖ. Les enquêtes sont en cours, on n'a pas fini d'en sentir les secousses», anticipe Nina Horaczek.