A 91 ans, Esther Senot n’a rien oublié. Jusqu’au bout, sans doute elle se souviendra. Oublie-t-on l’enfer ? Ce matin-là, à l’Institut national des Invalides, elle sort d’un pas déterminé de l’ascenseur. La voix, elle aussi, est assurée. Sans coquetterie et sans rechigner, elle se prête à la séance photo. On devine un caractère fort, une personnalité bien trempée.
Fin juillet 1943, Esther Senot n'a guère plus de 15 ans. Dans le XVIIIe arrondissement de Paris, elle vit dans un orphelinat de l'Union générale des israélites de France (Ugif), créée en 1941 par le régime de Vichy pour représenter les Juifs de France. Après la rafle du Vél d'Hiv, une partie de sa famille, des Juifs communistes récemment émigrés de Pologne, a déjà disparu. En visite chez l'une de ses tantes, elle y a échappé. Un an plus tard, les choses tournent mal. «A la sortie du métro, il y avait un contrôle d'identité. J'ai été emmenée au commissariat. Ils m'ont retrouvée dans le fichier où je figurais pour être arrêtée avec mes parents», raconte-t-elle. A la fin de l'après-midi, un car fait la tournée des commissariats. Esther est conduite au camp de Drancy.
«L’indifférence»
Le 2 septembre, le convoi 59 part pour la Pologne. Entre-temps, Esther a fait la connaissance de Marie. «Nous sommes les deux seules femmes de ce convoi à être rentrées vivantes en 1945», explique la vieille dame. A l'arrivée, tout va vite, des cris, la sélection. Des camions attendent. Les femmes, les enfants et les vieillards s