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Trump

Israël : un «deal du siècle» dans la campagne

Nétanyahou et son rival aux législatives Gantz sont attendus ce lundi à Washington, à la veille de la divulgation du plan de Trump visant à clore le conflit entre Israéliens et Palestiniens. Sans ces derniers.
Donald Trump et Benyamin Nétanyahou, le 25 mars 2019 à la Maison Blanche. (Photo M.Balce Ceneta. AP)
publié le 26 janvier 2020 à 20h46

C'était il y a moins d'une semaine, une éternité au rythme où s'emballe l'actualité au Moyen-Orient. Mercredi à Jérusalem, Emmanuel Macron raillait l'éventualité d'une «proposition sur la table» pour clore le conflit israélo-palestinien. «J'ai compris que d'autres en avaient, parfois attendues depuis longtemps.» L'allusion, transparente, visait le maintes fois reporté «deal du siècle», promis par Donald Trump depuis plus de deux ans.

A l’automne, alors qu’Israël s’enfonçait dans la paralysie politique après une seconde élection sans vainqueur, la démission de son principal architecte, l’avocat Jason Greenblatt, avait laissé penser que le fameux plan - dont de nombreux analystes ironisaient sur l’existence même - finirait sa vie dans les tiroirs de la Maison Blanche. L’arlésienne devrait finalement prendre chair mardi, à Washington, en présence de Benyamin Nétanyahou. Les Palestiniens, ignorés depuis le départ, ne seront pas représentés.

Mais ce lever de rideau ne s’est pas fait sans tractations… entre Américains et Israéliens. Jeudi, en marge du cinquième Forum de la Shoah, Mike Pence annonce d’abord que le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, est attendu à Washington pour discuter des derniers détails dudit plan, avant sa divulgation imminente. Le vice-président américain ajoute que Benny Gantz, général retraité devenu premier opposant à «Bibi», est invité. A la demande de Nétanyahou.

Duo

Cette main tendue donne à l'affaire un vernis bipartisan, alors que les commentateurs israéliens interprètent l'annonce comme un coup de pouce manifeste de Trump envers le chef du Likoud, à cinq semaines de législatives toujours aussi serrées. Craignant cette éventualité, Gantz avait déclaré début janvier que tout dévoilement du plan avant le scrutin serait une «ingérence flagrante» dans la campagne. Le timing est effectivement suspicieux, tant il est arrangeant pour le duo Trump-Nétanyahou. La rencontre au sommet, mardi, est programmée le jour même où une commission parlementaire de la Knesset doit débattre de l'immunité du Premier ministre, inculpé trois fois pour corruption et abus de confiance, et en plein climax du procès en destitution de Trump à Washington.

A bord d'Air Force One, le président américain met le pied sur l'accélérateur : son plan sera «probablement révélé» d'ici mardi. «J'adore les deals, fanfaronne Trump. Et on dit que la paix entre Israël et les Palestiniens est le plus dur de tous les deals !» Abreuvés par des «sources officielles anonymes», les JT israéliens du week-end détaillent le contenu présumé du plan, qui cocherait les demandes israéliennes les plus droitières et maximalistes.

Pendant ce temps, Gantz hésite. D'un côté, le général ne peut refuser une audience avec le président américain, qui le légitimerait sur le plan diplomatique. De l'autre, il ne peut apparaître comme le pion de Nétanyahou, invité pour la photo souvenir au bon vouloir du Premier ministre. Craignant un «piège», Gantz met en doute sa participation au barnum. Puis, samedi soir, le général finit par trouver un accord avec la Maison Blanche. Il rencontrera Trump lundi, seul à seul, et sera de retour en Israël à temps pour bloquer la demande d'immunité de Nétanyahou. Peu habitué à se faire voler la vedette, «Bibi» avance son départ et étale sa visite à Washington sur deux jours, lundi et mardi.

Au-delà de ces petits calculs, qu'attendre du «deal du siècle» ? Dimanche, Nétanyahou s'affichait très confiant : «J'ai parlé avec le président Trump […] de nos besoins sécuritaires et nationaux lors de dizaines de conversations, pendant des centaines d'heures. Dans chacune de ces discussions, j'ai trouvé une oreille attentive. […] Mardi, ensemble, nous allons écrire l'histoire.»

Si l'on en croit les fuites publiées par les médias israéliens, le plan Trump se résumerait à un catalogue des lubies du Likoud, prévoyant l'application de la souveraineté israélienne sur quasiment toutes les colonies et l'ensemble de Jérusalem, y compris la Vieille Ville et ses lieux saints. Un pseudo-Etat palestinien serait réduit à la bande de Gaza «démilitarisée» et des îlots urbains en Cisjordanie, sans contrôle de ses frontières, et conditionné à l'acceptation de toutes les demandes sécuritaires de Tsahal et la reconnaissance d'Israël comme «Etat juif avec Jérusalem comme capitale». Ni retour ni compensation ne seraient à l'ordre du jour pour les réfugiés.

Mort-né

En contrepartie, la Palestine et les Etats arabes voisins bénéficieraient d'une manne de 50 milliards de dollars sur dix ans, esquissée lors du sommet de Manama en juin. Termes impensables pour les Palestiniens, qui pourraient «déclencher une nouvelle intifada», a menacé Bassem Naïm, haut dirigeant du Hamas. Dénonçant «la fraude du siècle» et la «destruction de la solution à deux Etats», Saeb Erekat, négociateur en chef de l'OLP, a fait savoir que les Palestiniens pourraient se retirer des accords d'Oslo si Trump dévoilait son plan. Menace déjà brandie par le passé.

Reste à voir si les termes finaux du «deal» s'avèrent aussi caricaturaux. Mais quelles qu'en soient les nuances, le plan semble «mort-né» depuis sa création. Trump et Mahmoud Abbas, l'octogénaire raïs palestinien, ont coupé les ponts dès la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël. Pour de nombreux analystes, ce rejet palestinien a été anticipé par Washington. Qui n'attendrait que ce prétexte pour donner le feu vert aux ambitions annexionnistes de la droite israélienne.