Il y a trois mois, des médias allemands s'émouvaient d'apprendre que l'ancien vice-chancelier social-démocrate Sigmar Gabriel était pressenti à la direction de la fédération de l'industrie automobile allemande. Un ex-ministre de l'Environnement SPD garant des intérêts d'un lobby automobile toujours embourbé dans le Dieselgate ? Dans une Allemagne pourtant rompue aux pantouflages, l'idée avait choqué. Mais ça, c'était avant d'apprendre que finalement, Sigmar Gabriel entrerait au conseil d'administration de la Deutsche Bank.
Reconversion professionnelle
Annoncée vendredi, cette nomination, qui doit être validée en mai en assemblée générale, fait depuis couler beaucoup d'encre. Nombre de sociaux-démocrates sont atterrés de voir l'un des leurs rejoindre celle qu'on surnomme «la banque zombie». Pour Cansel Kiziltepe, porte-parole adjointe pour la politique financière du groupe SPD au Bundestag, «Sigmar Gabriel a apparemment été nommé au conseil de surveillance afin que ses contacts politiques profitent à la Deutsche Bank». Le président du parti Die Linke, Bernd Riexinger, mordant lui aussi : «Schröder, en tant que copain de Poutine, est en affaires avec Gazprom et Gabriel va désormais faire encore mieux et devenir membre du conseil de surveillance de la Deutsche Bank.»
Gabriel est une figure éminente du SPD. Il a été vice-chancelier, ministre des Affaires étrangères, de l'Environnement, chef du parti de 2009 à 2017. Après sa sortie du gouvernement en 2018, il s'est défendu de toute reconversion dans le lobbying : «Il ne faut pas frapper aux portes derrière lesquelles on s'est déjà assis», avait-il alors dit au Bild. C'est à l'édition dominicale de ce même journal qu'il s'est expliqué, dimanche. Devant le tollé suscité par sa nomination, il a évoqué un sujet dont on parle trop peu outre-Rhin : la reconversion professionnelle des anciens poids lourds politiques. «Ainsi, ils ne devraient pas toucher de retraite anticipée, ils ne devraient pas devenir lobbyistes, et ils ne devraient pas se lancer dans les affaires. Et puis alors quoi ?»
«Notre politique semble parfois aseptisée»
Reste que le SPD, en chute continue depuis deux ans et demi, n'avait pas besoin que l'un de ses anciens dirigeants se recycle dans l'une des institutions allemandes les plus décriées. Dans un article ironique intitulé «Au cœur des ténèbres», le Spiegel rappelle les mots de Gabriel en 2009, lors d'un congrès à Dresde : «Notre politique semble parfois aseptisée, cliniquement pure, stylisée, synthétique. Nous devons changer cela», tonnait-il, ajoutant qu'il faut aller «dans la vie, où c'est bruyant, où ça bouillonne, où ça sent parfois et aussi où ça pue de temps en temps.» Voilà qui est fait, relève l'hebdomadaire, avant de poursuivre : «Avec une âme pure, il entre courageusement dans la fosse aux lions. Ici, Sigmar Gabriel élèvera la voix, et les maîtres du capitalisme trembleront […]. Dans sa main-forte brille le flambeau du socialisme démocratique, le phare de sa longue marche à travers les institutions.» Impitoyable (mais drôle), il conclut que «la phase finale de son grand plan commence : le démantèlement du capitalisme. Ayons confiance, Sigmar Gabriel réussira une fois de plus ce qu'il a déjà réussi à faire avec le SPD : la destruction de l'intérieur».