Un clip pour se mettre dans l'ambiance : depuis la coupe du monde victorieuse de 1966 jusqu'au vote pour le Brexit de 2016, cinquante ans d'histoire britannique, avec ses figures honnies (la BBC, Tony Blair, même David Cameron qui est pourtant celui par qui tout cela est advenu) et adulées : l'ancienne Première ministre Margaret Thatcher, l'actuel Boris Johnson et bien sûr Nigel Farage, l'homme qui incarne plus qu'aucun autre le Brexit et organise la soirée, qui est en fait sa soirée, sa petite fiesta à lui. Précisons : honnies et adulées par le public de l'événement, à savoir les Brexiters les plus convaincus, venus de toutes les régions d'Angleterre pour célébrer sur la pelouse boueuse de Parliament Square, au cœur du quartier concentrant le pouvoir politique national, ce moment spécial où tout change sans que rien ne change (pour l'instant).
Toute la journée, ils se sont chauffés, posant avec leurs drapeaux, leurs costumes aux couleurs de l'Union Jack, leurs perruques blondes rendant hommage à Boris Johnson, leurs pancartes «Bye bye EU», devant les centaines de caméras venues les filmer. Certains parmi les plus excités auront joyeusement souillé des drapeaux européens ou bien seront allés emmerder, devant Downing Street, des défenseurs du remain en train de préparer une ultime manifestation pour noyer leur chagrin. Le tout dans une atmosphère très virile et maltée érigeant Boris Johnson, Donald Trump et Nigel Farage en modèles.
Ce soir, sur Parliament Square, les ont rejoints des workingmen tout juste sortis du travail, encore en costume-cravate. Ils sont quelques milliers au total cependant que le reste de la population, globalement saoulée, continue de mener son existence. En travaux, Big Ben ne sonnera pas ce soir, alors on a installé près de la statue de Churchill un «Little Ben» en carton, accompagné d'un homme agitant frénétiquement une cloche. Sur scène, le casting de la soirée donne le ton, entrecoupé par des chansons - Land of Hope and Glory, Rule Britannia, We are the Champions, Hey Jude - que la foule reprend à tue-tête, émouvante comme savent l'être les foules qui chantent. Il y a Richard Tice, président du Brexit Party ; Michelle Dewberry, dont le principal fait d'arme est d'avoir remporté une saison de The Apprentice ; Tim Martin, fondateur de la chaîne de pubs Wetherspoons ; Ann Widdecombe, une ancienne députée Tory connue pour ses positions anti-LGBT et pro-peine de mort qui a rejoint le Brexit Party… «Demain, nous nous réveillerons dans un pays libre !» proclame-t-elle tandis que dans la foule, un gros bonhomme en costard soulage sa vessie à même le sol, en toute décontraction et sans que cela semble gêner quiconque.
Final Countdown
Et puis c'est le moment tant attendu. A 22h45, Nigel Farage apparaît sur scène au son de the Final Countdown. C'est parti pour quinze minutes de montée en tension, à coups de «nous avons raison de célébrer», «nous avons battu l'establishment», «dans huit minutes, nous aurons atteint le point de non-retour», «nous serons libres, nous serons souverains, nous serons fiers»… Il présente la nouvelle pièce de 50 pence frappée pour l'occasion, salue en Boris Johnson un «Premier ministre charismatique qui dit tout ce qui est juste». Et qui a veillé dans son discours diffusé dans la soirée à ne pas en faire des caisses. Ici, l'ambiance n'est pas à la retenue : cette soirée, ça fait trois ans et demi qu'on l'attend, donc on ne va pas se priver.
«Il faudrait qu'il tienne encore 4 minutes», dit un homme en consultant sa montre. «Il sait faire», le rassure un autre. Farage ne prendra pas cette peine : à 22h57, il quitte la scène, laissant le public finir de se chauffer tout seul au son d'une musique hollywoodienne. Puis le compte à rebours apparaît. 30 secondes, 20, 10, 5, 4, 3, 2, 1… et c'est l'exclamation de joie générale à laquelle on pouvait s'attendre, comme si l'Angleterre venait de gagner la coupe du monde. Cette fois, ça y est, «WE'RE OUT !» est-il écrit sur l'écran géant installé au-dessus de la scène. On chante l'hymne national en chœur. Et puis après ? «Bon voilà, c'est fait. On va au pub ?» lance un homme.