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Libération
Chronique «British Stories»

Dans le Royaume-Uni brexité, les Britanniques et puis les autres

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Chronique de l'angoisse liée au «settled status», précieux sésame pour les Européens qui vivent au Royaume-Uni.
A Londres, le 1er février. (Antonio Bronic/Photo Antonio Bronic. Reuters)
publié le 6 février 2020 à 6h24

La vie continue. Comme après un accident ou un deuil. En apparence, rien ne change. Le jour se lève encore, la pluie mouille vraiment et dans la rue, les voitures roulent toujours à gauche. Le pays est brexité et tout est normal. Ou presque. Parce qu'au fond de nous, au creux de nos tripes, il y a cette petite boule inhabituelle. De tristesse oui, mais aussi d'angoisse. Depuis le 1er février 2020, il y a les Britanniques et puis il y a les autres, les citoyens européens. La frontière, virtuelle, est désormais officielle.

On aura attendu le jour B, le Brexit Day. Avant, on a traîné la patte, en dépit des multiples recommandations du consulat de France qui se démène depuis des mois pour informer les Français installés au Royaume-Uni. Après tout, en principe, le délai d'enregistrement a été fixé au 30 juin 2021. Après cette date, le gouvernement britannique a assuré qu'il n'y aurait pas «de déportation automatique de citoyens européens non-enregistrés». Voilà qui nous a modérément rassuré.

Post-Brexit, le statut des citoyens européens installés au Royaume-Uni, environ 3,35 millions, change. Pour être autorisé à rester, il faut obtenir un «settled status», si vous vivez au Royaume-Uni depuis plus de cinq ans. Pour les autres, ce sera le «pre-settled status». Une fois obtenu, vous avez le droit de rester vivre au Royaume-Uni et disposez des mêmes droits qu'auparavant. A condition de ne pas quitter le pays pendant plus de cinq ans d'affilée. Ce statut s'applique aux citoyens de l'UE, mais aussi du Liechtenstein, de l'Islande, de la Norvège et de la Suisse. A ce jour, 3 millions de demandes ont été déposées, et 2,7 millions ont été pour le moment accordées au 31 janvier, six refusées parce que les candidats avaient un casier judiciaire pour des délits «graves et répétés». Les autres sont en cours d'examen. Les Bulgares sont les meilleurs élèves et se sont déjà enregistrés en masse, les Français et les Allemands sont en queue du peloton.

Agaçant

Dimanche, jour 2 du Brexit, on a plongé à notre tour, en téléchargeant l’application sur notre téléphone portable. La procédure est simple. Rentrer le numéro britannique de Sécurité sociale, prendre un selfie et promener son passeport biométrique sur le téléphone, histoire que le Home Office y lise bien toutes les informations. Et puis, boum. On nous a demandé de prouver notre existence au cours des huit dernières années. On vit depuis plus de vingt ans au Royaume-Uni. On y paye nos impôts. Va comprendre pourquoi huit ans… Après avoir cherché des preuves (huit taxes annuelles d’habitation), les avoir scannées puis téléchargées sur l’application, nous avons reçu un numéro. Reste à attendre. Entre cinq jours ouvrables et six semaines. En principe, on devrait recevoir le précieux sésame. Et pourtant, l’angoisse, à peine perceptible, est là. On sait aussi que lorsqu’on recevra le mail de confirmation, on ressentira une forme de soulagement. Et c’est un peu agaçant.

Jusqu’à la fin de la période de transition, le 31 décembre 2020, rien ne changera dans la vie quotidienne au Royaume-Uni. Mais dans celle des citoyens européens, dans ma vie, quelque chose a déjà changé. Cette démarche administrative en principe anodine est un symbole. Et pas celui du Brexit. Elle reflète, en miroir et très concrètement, ce que signifie être membre de l’Union européenne : une forme de liberté, mais aussi d’égalité avec les autres citoyens des désormais 27 pays membres. Avant le Brexit, on se savait Française au Royaume-Uni. Depuis, on se revendique Européenne et on se sait différente.