Idlib menace de devenir un champ de ruines vidé de ses habitants en raison des bombardements intenses du régime de Bachar al-Assad et de son allié russe. Comme ailleurs en Syrie, en Ukraine ou au Yémen, la ville fortement peuplée est le théâtre des combats, et les civils les principales victimes. Le constat, tendance lourde des dernières années, a poussé une coalition d'ONG à lancer dès 2011 une campagne contre les armes explosives (Inew, pour International Network on Explosive Weapons).
Celle-ci vient d’aboutir à un processus diplomatique, piloté par l’Autriche, qui doit se conclure par une déclaration politique contre ces pratiques particulièrement meurtrières. En octobre, une première rencontre a réuni 133 Etats à Vienne, et une nouvelle rencontre a lieu ce lundi à Genève, avant la déclaration finale en mai à Dublin.
La démarche bénéficie de plusieurs appuis de poids. Soutenue dès le début par le secrétaire général des Nations unies, elle figure comme priorité de l'agenda d'António Guterres depuis sa nomination en 2017. Le très respecté Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s'est aussi emparé de la question, appelant les belligérants à éviter de recourir à des armes explosives en zones peuplées («Ewipa», selon l'acronyme en anglais). L'organisation vise particulièrement les armes à «large rayon d'impact», comme «les bombes de gros calibre et les bombes non guidées larguées à partir d'aéronefs, les missiles et les roquettes, les armes non guidées à tir indirect (telles que l'artillerie et les mortiers) et les lance-roquettes multiples».
Déminage
«A mesure que notre monde s'urbanise, il en va de même des conflits armés. Mais quand des villes entières sont bombardées - qu'il s'agisse de frappes aériennes, de tirs de roquettes ou d'artillerie ou d'engins explosifs improvisés -, ce sont les civils qui paient le prix fort. De fait, l'immense majorité des victimes (plus de 90 % selon une estimation) sont des civils», écrivaient en octobre António Guterres et Peter Maurer, le président du CICR, dans un appel conjoint. Ce chiffre est au cœur de la démarche pour limiter ou proscrire l'usage de ces armes. «L'expression "dommages collatéraux" est indécente dès lors que 90 % des victimes sont des civils», dénonce Baptiste Chapuis, chargé de plaidoyer désarmement et protection des civils chez Handicap International.
L'ONG française, engagée dans des opérations de déminage en Syrie et en Irak, observe sur le terrain les conséquences des guerres aériennes en milieu urbain. «Raqqa a été détruit à 80 %, rappelle Baptiste Chapuis. A Mossoul, le déminage commence à peine. Les spécialistes parlent de "millefeuille explosif" : les tonnes de gravats contiennent des bombes non explosées et des IED (engins explosifs artisanaux).»
Les premières sont les restes de la campagne de la coalition contre l’Etat islamique, dirigée par les Etats-Unis. Les seconds ont été posés par le groupe terroriste avant sa défaite. Ces reliques mortelles empêchent les habitants de revenir, même longtemps après la fin des combats.
La France, qui a activement participé à la coalition militaire contre l'EI, est loin d'être à l'avant-garde du combat contre les armes explosives en zone peuplée. Emmanuel Macron s'y était pourtant engagé par écrit pendant la campagne présidentielle : «Je rejoins la position des pays européens qui ont appelé à prendre des mesures face à cette menace, y compris en soutenant l'appel du secrétaire général des Nations unies à l'élaboration d'une déclaration politique internationale sur ce sujet.»
Paris s'est bien associé au processus diplomatique lors la conférence de Vienne, mais sa contribution «risque de vider la déclaration politique de toute substance, empêchant d'aboutir à un texte qui permettrait de sauver d'innombrables vies civiles», dénonce vivement Handicap International.
«Sanctuaires»
En cause, la subtile distinction faite par la France entre «les emplois légaux des [armes explosives en zones peuplées] de ceux, indiscriminés, qui violent les principes du droit international humanitaire».
«Nous devrions être conscients que l'adoption d'un principe ou d'une politique qui nous engagerait à éviter tout emploi d'armes explosives en zones peuplées risquerait de transformer ces zones en sanctuaires pour des acteurs qui ne respectent aucunement le droit international humanitaire, perpétuant ainsi les souffrances civiles», prévient le représentant de la France auprès de la conférence du désarmement, Yann Hwang, tout en invitant à mettre l'accent sur les engins explosifs artisanaux utilisés, eux, par les groupes terroristes.
«L'emploi des armes explosives en zone peuplée doit et peut être conforme [au droit des conflits armés]. Elles doivent et peuvent respecter les principes de distinction et de proportionnalité […]. Leurs effets dans le temps et l'espace doivent être limités», avait déjà plaidé, en juin, un responsable de la direction des affaires juridiques du ministère des Armées, lors d'une audition à l'Assemblée nationale.
«Le droit international humanitaire reste la base, mais l'évolution des conflits nous pousse à trouver des béquilles», répond Baptiste Chapuis, citant l'exemple de la «Safe School Declaration». Adopté en 2015, ce texte renforçant la protection des écoles a permis de diviser par deux les incidents militaires sur les bâtiments scolaires dans les douze pays l'ayant soutenu.