Le réalisateur Michael Moore chauffe la salle de l'Opera House, un théâtre tout en dorures et velours rouge de Rochester, coquette ville de l'est du New Hampshire. «Les jeunes électeurs ont choisi Bernie parce qu'il se bat pour leur futur, lance-t-il, éternelle dégaine sweat à capuche-casquette-baskets. Avec tout le respect que je dois au sénateur, il ne se bat pas pour son futur : il est dans son futur !» Parade rigolade à la critique récurrente sur l'âge vénérable (78 ans) de Sanders et son état de santé (il a fait une crise cardiaque à l'automne). Le sénateur du Vermont est plébiscité par les jeunes démocrates, nombreux dans la salle ce samedi après-midi. Dans l'Iowa, les moins de 30 ans ont massivement voté pour lui. «Les jeunes d'aujourd'hui constituent la génération la plus progressiste de l'histoire de ce pays», a salué Sanders lors d'un gros meeting à l'université de Keene dimanche.
Régional de l'étape. Elu pour représenter à Washington l'Etat voisin du Vermont depuis trente ans (d'abord à la Chambre, puis au Sénat), Sanders est vu comme le régional de l'étape dans le New Hampshire, qu'il a largement remporté en 2016 face à Hillary Clinton avant d'échouer à la nomination du parti quelques mois plus tard. Le quasi-octogénaire joue de son image de grand échalas renfrogné aux discours austères, qu'il récite avec son inénarrable accent de Brooklyn : «La journée est chargée, je vais donc faire plus court que d'habitude, seulement deux heures.»
Lutte contre le changement climatique, critique du «système pénal brisé et du racisme systémique», augmentation du salaire minimum, défense des droits reproductifs, gratuité de l'université publique et annulation de la dette étudiante, assurance santé universelle… Pour ceux que sa «révolution socialiste» effraie, il présente son programme comme une réponse logique aux «besoins humains de base». Avec un slogan, «Not Me. Us» («Pas moi. Nous»), et un «stump speech», ce discours standard délivré à chaque événement de campagne, rodés depuis bien longtemps.
«Il dit la même chose depuis quarante ans, sourit David, un jeune ingénieur de Rochester. C'est ça que j'apprécie chez lui : sa constance, et le fait qu'il soit incorruptible. Et puis franchement, il est plus en forme que moi !» affirme-t-il, désignant du menton une paire de béquilles posées contre son siège. Il n'a pas hésité une seconde avec d'autres candidats : «Le centrisme, c'est bien pour les gens qui ont des actions en Bourse, mais pas pour tous les autres.» Sa voisine entre dans la conversation. Enseignante dans la région, toujours indécise quant à son vote de ce mardi, Ann voulait entendre d'elle-même «ce que Sanders avait à dire», mais le juge «trop clivant et trop à gauche pour l'emporter en novembre». «Il a de belles idées mais ne sait pas comment les financer…» regrette-elle.
«Colistière idéale». Fort de son armée de petits donateurs, qui lui ont permis d'annoncer des records de levées de fonds tout en refusant l'argent des gros donateurs, Bernie Sanders a aussi su attirer les soutiens de grands noms de la communauté artistique. Outre la présence de Michael Moore à ses côtés, Vampire Weekend et Bon Iver ont donné des concerts de soutien à sa campagne dans l'Iowa. Lundi soir, c'était au tour des Strokes de faire de même dans le New Hampshire. Surtout, le vieil homme blanc s'est entouré de femmes jeunes et issues des minorités. Des figures de la gauche progressiste, à l'instar des élues de la Chambre Alexandria Ocasio-Cortez, Rashida Tlaib ou encore Ilhan Omar, qui interviennent lors de ses meetings et l'ont remplacé quand il était coincé à Washington pour le procès en destitution de Trump. Ou encore l'une des coprésidentes de sa campagne, Nina Turner, ancienne élue du Sénat de l'Ohio, une Afro-Américaine de 52 ans qui introduit le sénateur avec l'énergie d'une prédicatrice infatigable. Carol, une retraitée bénévole pour la campagne de Sanders, voit en elle une «future colistière idéale pour Bernie».
S'il critique ses rivaux parce qu'ils prônent des «demi-mesures», Bernie Sanders est peu enclin à utiliser ses discours pour tacler les autres démocrates. Il n'a cependant pas raté Buttigieg ce week-end : «J'aime bien Pete, c'est un type sympa et intelligent. Mais si on doit être sérieux à propos du changement politique aux Etats-Unis, ça ne peut venir de quelqu'un qui récolte beaucoup d'argent auprès de PDG de l'industrie pharmaceutique.»
Le socialiste semble déjà passé à l'étape suivante, l'élection de novembre. «Nous ne devons pas nous contenter de battre Trump, lance-t-il à ses soutiens. "Not Me. Us" n'est pas juste un joli slogan à coller à l'arrière de sa voiture : c'est un message politique et moral de transformation de l'économie et de la société.»