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Libération
Décryptage

Devant l'ONU, Abbas conjugue son impuissance avec l'isolement des Palestiniens

Devant le Conseil de sécurité de l'ONU, Mahmoud Abbas a martelé son opposition au plan Trump et appelé à la reprise de négociations selon les paramètres traditionnels de la solution à deux Etats. Mais dans le même temps, les Palestiniens retiraient une résolution en ce sens, faute d'appui international pour en garantir le vote.
Mahmoud Abbas avec une carte du Moyen-Orient, au Conseil de sécurité des Nations unies, à New York mardi. (JOHANNES EISELE/Photo Johannes Eisele. AFP)
publié le 11 février 2020 à 20h56

«Ce n'est pas un Etat, c'est un morceau de gruyère ! Qui parmi vous pourrait l'accepter ?» Cartes à portée de main, le président palestinien, Mahmoud Abbas, était mardi à New York devant le Conseil de sécurité des Nations unies, dans ce qui ressemblait à un match perdu d'avance face à l'administration Trump et son «deal du siècle», censé résoudre le conflit centenaire au Proche-Orient.

Malgré un discours aussi combatif que stéréotypé, le dirigeant palestinien a, sur le front diplomatique, été lâché en rase campagne – ou plutôt en plein Manhattan. Tout s'était joué avant l'ouverture de son micro, dans les couloirs du siège de l'ONU.

Certes, le raïs octogénaire a égrené les avertissements contre «l'apartheid qui revient en vigueur» et ce plan «israélo-américain» qui «n'apportera pas la paix», ni ne «résoudra la question de la Palestine». Et, certes, une fois encore, il s'est accroché aux mantras du droit international et des paramètres traditionnels de la solution à deux Etats, qui ont longtemps fait figure d'évidence : Jérusalem capitale partagée, frontières de 1967, refus de la violence, etc.

«Mon espoir disparaît»

Mais il y avait aussi de l'agacement («Quelle est l'utilité des résolutions de votre auguste conseil si celles-ci sont méprisées?»), voire un aveu d'impuissance face au «plan conceptuel» américain, qui réduit une hypothétique Palestine à un archipel dans une mer de colonies israéliennes. «Chaque fois que je vois cette carte, mon espoir disparaît. Les Palestiniens méritent-ils cela ? Ces petits îlots de terres séparés les uns des autres ?»

Car ce discours devait à l'origine appuyer le vote d'une résolution rejetant le plan américain. Las, après avoir fait le compte des voix manquantes, les Palestiniens ont préféré retirer le texte pour s'éviter une nouvelle humiliation, quinze jours après la présentation de la «vision» trumpiste en direct de la Maison Blanche.

Du côté de Ramallah, on refuse néanmoins de parler de «retrait», arguant que le texte, officiellement porté par la Tunisie et l'Indonésie, n'a pas encore été présenté et doit être finalisé, même s'il en circule des copies depuis plusieurs jours. Interrogé par Libération, un cadre de l'OLP dit encore croire à un vote positif plus tard dans la semaine. Vœu pieux.

Ce nouveau revers diplomatique met en relief l'isolement palestinien. Et fait entendre la dissonance entre les déclarations de principe énoncées au niveau régional – qu'il s'agisse de la Ligue arabe, de l'Organisation de la coopération islamique, de l'Union africaine ou même de l'Union européenne – et les réactions individuelles des nations, bien plus timorées.

«Fissures en cascade»

De quoi donner au fameux consensus international l'air d'une façade craquelée par le bulldozer américain. Des «fissures en cascade», y compris au sein de l'Europe, dont s'est félicité Jared Kushner, le gendre de Donald Trump responsable du service après-vente du «deal du siècle». Le résultat de pressions et de menaces, notamment financières, des Américains sur quelques Etats clés, alors que la Palestine plaidait sa cause auprès des membres du Conseil de sécurité. «Ces consultations ont été menées alors que les États-Unis déclenchaient, au nom d'Israël, une campagne implacable de coercition et d'ultimatums», s'est indigné dans un communiqué Hanan Ashrawi, haute dirigeante de l'OLP.

Parmi les exemples les plus frappants, il y a le brutal limogeage, vendredi, de l'ambassadeur tunisien à l'ONU. Le diplomate était l'une des plumes de la première mouture de la résolution, jugée trop véhémente par Washington qui l'a fait clairement savoir au nouveau président Kaïs Saïed. Lequel a immédiatement cédé, prétextant un «manque de coordination» avec son envoyé.

Côté européen, c'est sans surprise la Hongrie de Viktor Orbán – allié sulfureux du Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou – qui a rompu les rangs en premier, mettant fin au front uni, négocié de haute lutte par le président du Conseil, Charles Michel. Le chef de la diplomatie hongroise s'est vanté auprès du Jerusalem Post que son pays avait bloqué, avec l'aide de l'Autriche, toute mention de sanctions européennes contre Israël en cas d'annexion des colonies israéliennes, que le plan Trump soutient sous conditions. Déclarations privant de toute crédibilité le communiqué de l'UE publié il y a une semaine.

Selon l'AFP, même l'Allemagne et l'Estonie penchaient pour l'abstention en cas de vote. «Les Américains ont mené une campagne très dure contre nos alliés, concède le diplomate de l'OLP. L'Allemagne n'est pas encore perdue. Le coup dur, ce sont les Britanniques.» Lesquels, désormais hors de l'UE, ont refusé de s'opposer au plan Trump depuis son dévoilement.

Représailles américaines

Mahmoud Abbas s'est pourtant dit prêt à de nouvelles négociations, mais dans un cadre multilatéral, appelant à l'organisation d'une illusoire conférence pour la paix, alors que le reste du monde «est fatigué du conflit», comme l'a remarqué, sans doute à raison, Kushner. Le président palestinien, qui réserve son venin pour Kushner, qu'il surnomme «le gamin», a pris soin de ménager Trump, se demandant à haute voix qui a pu lui conseiller de couper les aides aux Palestiniens : «L'homme que j'ai rencontré n'est pas comme ça.»

Pourtant, quelques heures avant l'allocution d'Abbas, l'administration Trump supprimait la dernière ligne budgétaire la liant aux Palestiniens : le fonds de soutien aux forces de sécurité palestiniennes. Représailles aux vaines menaces d'Abbas, qui, dans un énième bluff, avait annoncé la semaine précédente rompre toute coopération sécuritaire avec Israël et les Etats-Unis.

Le symbole le plus cruel de la déconnexion de l'impopulaire dirigeant palestinien reste sans doute l'annonce lunaire d'une conférence de presse commune avec l'ex-Premier ministre israélien disgracié Ehud Olmert, qui devrait se tenir dans la foulée.

Dialogue possible ?

Les deux hommes étaient en négociations avancées entre 2007 et 2008, avant que n'éclate la première guerre de Gaza et qu'Olmert ne tombe pour corruption et ne passe seize mois derrière les barreaux. Comme il l'a expliqué à la télévision israélienne, Olmert – dont le crédit politique en Israël est proche de zéro – souhaite «rappeler aux Israéliens que le dialogue est possible, et que Abou Mazen [surnom d'Abbas, ndlr] est le seul partenaire». Avant de nuancer : «Je ne viens pas aux Etats-Unis pour combattre Trump ou son plan, […] ni même le gouvernement israélien.»

Pour Tareq Baconi, de l'International Crisis Group, «le leadership palestinien ne présente aucune stratégie au-delà des menaces dans le vide». Le chercheur estime que «personne à Ramallah ne s'est préparé à la possibilité d'un démantèlement de l'Autorité palestinienne, qu'il soit stratégique ou résultat des plans d'annexion israélo-américains. Israël et les Etats-Unis sont clairement sortis des accords d'Oslo, mais Abbas ne semble pas avoir conscience de la gravité de la situation. C'est ce que l'on voit à travers ce meeting avec Olmert, ses invocations de la gauche israélienne ou d'un retour aux négociations sur les formats antérieurs. La réalité politique a changé radicalement – en Israël comme dans le monde, avec la montée du populisme et le mépris du droit international – et Abbas fait comme s'il ne l'avait pas compris.»