Omar el-Béchir envoyé à la Cour pénale internationale (CPI) ? Voilà qui serait une énorme prise pour la CPI, qui a engagé depuis 2009 des poursuites contre l'ancien dictateur soudanais, lui-même renversé par un coup d'Etat en avril dernier. Après avoir longtemps refusé de le livrer à la justice internationale, le gouvernement de transition qui lui a succédé à Khartoum en aurait finalement pris l'engagement ce mardi, lors de pourparlers de paix entamés avec des groupes rebelles du Darfour.
Or c’est précisément dans cette région tourmentée de l’Ouest du Soudan qu’El-Béchir, aujourd’hui âgé de 76 ans, est accusé d’avoir orchestré une campagne de meurtres et de viols à caractère ethnique à partir de 2003, lors d’un interminable conflit contre des groupes rebelles qui a fait plus de 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés.
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Accusé de «crimes contre l'humanité» et de «crimes de guerre» dès 2009, puis également de «génocide» un an plus tard, Omar el-Béchir a eu ainsi le triste privilège d'être le premier chef d'Etat en exercice poursuivi par la CPI, et même le premier accusé du crime de génocide réclamé par cette juridiction basée aux Pays-Bas.
Las, malgré deux mandats d’arrêts internationaux, l’homme fort de Khartoum bénéficiera jusqu’à sa destitution de la protection de ses pairs africains et arabes qui l’accueilleront chez eux sans jamais accepter de le transférer à la CPI. On le verra ainsi parader tranquillement au siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba (Ethiopie), comme à Johannesburg (Afrique du Sud) ou à Tripoli (Libye).
Main de fer
Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1989, alors qu’il était colonel au sein des forces armées soudanaises, El-Béchir semblait jouir d’une totale impunité et pouvait continuer de régner d’une main de fer dans son pays, où il avait imposé la loi islamique après son accession au pouvoir.
Pendant trente ans, il a su esquiver les obstacles et les menaces. Et pas seulement celles de la CPI. Il s’est notamment débarrassé de son allié l’islamiste Hassan al-Tourabi en 1999, lorsque ce dernier cherchait à prendre sa place.
Dans les années suivantes, il entamera également des négociations avec les sécessionnistes du Sud, aboutissant en 2011 à la création de l’Etat indépendant du Soudan du Sud, alors qu’il avait auparavant dirigé lui-même les opérations militaires contre l’Armée populaire de libération du Soudan. C’était après son retour d’Egypte, où ce fils de paysans modestes qui n’était pas encore au pouvoir avait été formé à l’Académie militaire.
Un transfert tardif mais opportun
Finalement, c’est en se soumettant au plan d’austérité du Fonds monétaire international (FMI), en 2018, qu’El-Béchir va précipiter sa chute. Les prix du pain et de l’essence s’envolent, l’inflation atteint les 40%. La contestation gronde, le régime répond en emprisonnant les leaders. Mais à partir de décembre, le mouvement de protestation gagne plusieurs villes du pays avec une ampleur inégalée malgré la répression.
Les mécontents, qui réclamaient surtout de meilleures conditions de vie, finissent par exiger la démission de celui qui était devenu officiellement président en 1993, avant d’être réélu à deux reprises. Le 11 avril 2019, après plus de trois mois de révolte populaire, Omar el-Béchir est destitué et arrêté par l’armée, qui reprend la situation en main, court-circuitant dans la foulée la contestation de la rue.
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Emprisonné, El-Béchir est aussitôt accusé du meurtre d'un manifestant, puis de corruption après la découverte à son domicile de plus de 100 millions de dollars (91 millions d'euros). Un premier procès entamé en août le condamne quatre mois plus tard à deux ans de prison pour «corruption» et «possession de devises étrangères», en l'occurrence en provenance d'Arabie Saoudite.
Mais d’autres procès l’attendaient au Soudan, où le procureur général avait ouvert en décembre une enquête sur les crimes commis au Darfour. Jusqu’à présent, cependant, le nouveau pouvoir avait toujours refusé de le livrer à la CPI, estimant que ce serait au premier gouvernement élu de décider s’il fallait le faire.
Les négociations avec les rebelles du Darfour ont visiblement changé la donne, offrant à la CPI une victoire tardive mais opportune, au moment où le bureau du procureur de cette juridiction a pu sembler affaibli par l'échec de sa procédure contre l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, acquitté il y a un an. Mais un bémol : à La Haye, c'est une fois de plus l'Afrique qui se retrouve sur le banc des accusés.