Boris Johnson aime les ponts. Il aime aussi le fait que le Royaume-Uni soit une île (en fait deux avec l’Irlande du Nord). Cette insularité explique en partie ce sentiment fréquent outre-Manche d’être unique et détaché des contingences vulgaires du continent. C’est en tout cas ainsi que certains partisans du Brexit ont expliqué la décision historique. Mais Boris Johnson aime vraiment les ponts. Il vient d’annoncer que des études sérieuses étaient en cours pour en construire un au-dessus de la mer d’Irlande, entre l’Ecosse et l’Irlande du Nord.
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Le pont s'élancerait de Portpatrick, petit village pittoresque de quelques centaines d'habitants perdu sur la côte ouest de l'Ecosse, à plus de deux heures et demie d'Edimbourg. Il se poserait à Larne, port situé au nord de Belfast. Techniquement, le défi semble très compliqué. La distance à parcourir est de quelque 31 kilomètres, au-dessus d'une mer souvent houleuse en raison des vents violents. Le fond est… très profond et tapissé d'environ un million de bombes non explosées datant de la Seconde Guerre mondiale. En 2018, alors que cette idée avait été une première fois évoquée, James Duncan, ingénieur des ponts et chaussées à la retraite, avait écrit dans le Sunday Times qu'un tel projet était aussi «réalisable que celui de construire un pont vers la Lune».
Détourner l’attention des sujets plus épineux
Boris Johnson n'est pas du genre à s'arrêter à ce genre de considération. Il aime les ponts. Lorsqu'il était maire de Londres, entre 2008 et 2016, il avait encouragé la construction d'un Garden Bridge, un pont piétonnier arboré au-dessus de la Tamise, dont il souhaitait faire «cadeau» aux Londoniens. En fait, ce sont surtout les contribuables qui ont fait cadeau de 80% des 53 millions de livres (63 millions d'euros) dépensés pour les études de ce projet finalement abandonné. Mais le Premier ministre aime les ponts et, à peine arrivé à Downing Street en juillet, il avait évoqué un pont au-dessus de la Manche. Le projet, sur l'une des zones au monde les plus fréquentées par des ferries, est aussi tombé à l'eau.
Boris Johnson aime aussi les distractions. Il est en fait un expert dans l’art de noyer le poisson. En relançant cette idée de pont entre l’Ecosse et l’Irlande du Nord, il détourne l’attention des sujets plus épineux, comme celui des négociations à venir sur les conséquences du Brexit. Comme le fait que son ministre Michael Gove a reconnu que des contrôles douaniers sur les biens seraient inévitables après le 31 décembre. Il noie aussi un peu le sujet de la mise en œuvre du projet controversé de liaison ferroviaire rapide, HS2 (High Speed), supposé désenclaver le Nord du pays. Le projet, lancé il y a dix ans, a déjà dépassé de 150% son budget initial. Il pourrait coûter plus de 100 milliards de livres et les premiers trains ne devraient pas circuler avant 2030.
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Et puis, en évoquant ce pont écossais, il balance un signal clair aux velléités d’indépendance de l’Ecosse. Il rappelle à Nicola Sturgeon, cheffe du gouvernement semi-autonome de la région, que l’Ecosse est liée au reste du pays. Boris Johnson oublie pourtant un détail. Si, dans un futur plus ou moins proche, l’Ecosse obtenait son indépendance ; si, parallèlement, l’Irlande du Nord décidait de se réunifier avec la République d’Irlande ; et si l’Ecosse indépendante demandait et obtenait son entrée dans l’UE, ce pont serait finalement un lien parfait au sein de l’UE entre une Irlande unifiée et une Ecosse indépendante. La frontière avec l’Union européenne du Royaume, qui serait alors désuni, se déplacerait au sud de l’Ecosse. Ces hypothèses ne sont évidemment que des spéculations, un peu ironiques. Mais, à terme, peut-être sont-elles plus vraisemblables que la construction de ce fameux pont.