La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Selon les chiffres communiqués ce jeudi par la Commission nationale de la Santé, la Chine vient d’enregistrer 15 152 nouvelles contaminations par le Covid-19, ainsi que 254 décès supplémentaires, la majorité des cas ayant été comptabilisés dans la province du Hubei. L’annonce a pris tout le monde de court : jamais l’augmentation journalière n’avait été aussi importante depuis le début de la crise. Les jours précédents, le nombre de nouvelles contaminations oscillait entre 1 500 et 3 000. Celui des décès entre 80 et 110.
Taches blanches
Alors, comment expliquer une telle hausse statistique en à peine moins de vingt-quatre heures ? Il s'agit, en réalité, d'un changement de politique sanitaire de la part des autorités, ou plus précisément, d'une modification dans le mode de calcul des personnes contaminées. Jusqu'alors, n'étaient considérés comme «malades confirmés» du nouveau coronavirus que les individus détectés positifs au test d'acide nucléique (technique au cours de laquelle les médecins cherchent la présence du matériel génétique du virus dans les échantillons des patients).
Cette pratique de dénombrement a été remaniée jeudi : une personne peut désormais être diagnostiquée porteuse du virus sur la simple base de clichés radiographiques des poumons (sur lesquels on recherche principalement la présence de taches blanches). Et figurer ainsi dans le recensement quotidien de la Commission nationale, qui évalue jeudi à près de 60 000 le nombre de personnes contaminées et à 1 367 celui des morts en Chine continentale.
Cette décision d'élargir la définition des cas d'infections tiendrait à plusieurs raisons. «D'abord, on peut facilement se dire que les autorités tentent de se rattraper par rapport aux chiffres dévoilés ces derniers jours, qui sous-estimaient clairement l'ampleur de l'épidémie dans le pays», analyse Frédéric Tangy, directeur du laboratoire d'innovation vaccinale à l'Institut Pasteur.
Autre motif possible : les moyens financiers et humains pour effectuer ces fameux tests d'acide nucléique commenceraient très sérieusement à manquer à l'appel. «Cette technique est coûteuse et nécessite des laboratoires hyper bien équipés, avec du personnel hautement qualifié», expose Olivier Terrier, chercheur du CNRS au Centre international de recherche en infectiologie de Lyon. «Les laboratoires chinois en mesure de procéder à ces tests sont submergés par les demandes. Il est fort probable qu'ils aient déjà atteint leur capacité maximum de fonctionnement. Les autorités devaient bien proposer une alternative.» De fait, le nombre de nouveaux cas confirmés à 100 % par le biais de cette méthode médicale ne cesse de diminuer depuis quatre jours (chutant de 3 062 diagnostics à 1 820 sur cette période).
«Incompréhensible»
Selon le Financial Times, l'extension du repérage s'expliquerait plutôt par un soupçon de non-fiabilité du test. Tong Chaohui, expert médical et conseiller du gouvernement, aurait déclaré que les résultats de cette technique, même réalisée dans les meilleurs hôpitaux de la province, n'étaient fiables que dans 50 % des cas. Un chiffre qui tomberait aux alentours de 10 % pour les établissements médicaux moins pointus.
«Toujours est-il que c'est un peu étrange, voire incompréhensible, de changer le mode de calcul en plein cœur de la crise, estime Frédéric Tangy. On ne sait plus trop à quoi s'en tenir. Effectivement, ça avait l'air de se stabiliser, mais cette intensification brusque peut potentiellement tout remettre en question . Est-ce que l'épidémie continue réellement d'augmenter ou pas ? Il va falloir attendre quelques jours pour analyser les chiffres dévoilés. Même nous, médecins et experts, sommes un peu déboussolés face à la nouvelle.»