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Libération
CHRONIQUE «A L'HEURE ARABE»

Le chanteur Saad Lamjarred poursuivi pour viol et toujours adulé au Maroc

Toutes les semaines, chronique de la vie quotidienne, sociale et culturelle dans les pays arabes. Aujourd’hui, retour sur la carrière de Saad Lamjarred, qui continue son ascension au Maroc et dans le reste des pays arabes alors qu'il fait face à plusieurs accusations de viols et d'agressions sexuelles.
Le chanteur marocain Saad Lamjarred, le 30 juin près de Tunis. (FETHI BELAID/Photo Fethi Belaid. AFP)
publié le 15 février 2020 à 9h33

A l'heure de #MeToo où les langues se délient un peu partout pour dénoncer les abus sexuels, le mouvement a manifestement du mal à prendre dans le monde arabe. Le cas du chanteur marocain Saad Lamjarred, mis en examen en France dans trois affaires de viols et de violences en est une illustration.

Après les accusations de viol par une jeune femme fin 2016, la cour d'appel de Paris a infirmé récemment l'ordonnance rendue en avril qui avait requalifié les faits en «agression sexuelle» et «violences aggravées». Résultat : le chanteur de 35 ans sera finalement jugé aux assises pour viol.

Petit retour en arrière : dans sa plainte, la victime présumée Laura P. affirmait avoir été agressée à l'âge de 20 ans par le chanteur dans sa chambre à l'hôtel Marriot en octobre 2016, quelques jours avant son concert à Paris. Incarcéré dans la foulée, Saad Lamjarred avait été libéré sous bracelet électronique en avril 2017 avant d'être remis en examen pour les faits dénoncés par une jeune Franco-Marocaine affirmant qu'il l'avait agressée et frappée à Casablanca en 2015. Celle-ci a néanmoins retiré sa plainte. Même accusation de viol en août 2018, cette fois après la plainte d'une jeune femme pour viol à l'issue d'une soirée à Saint-Tropez. Après deux mois et demi d'incarcération, il a été libéré sous contrôle judiciaire, contraint de résider à Paris le temps de l'enquête. Depuis, il a obtenu le droit de retourner au Maroc et de se reproduire sur scène.

Alors qu'il risque désormais vingt ans de prison ferme, Saad Lamjarred a posté sur son compte Instagram jeudi une photo de lui, tout sourire, avec cette légende en anglais : «Vous me manquez. Je vous prépare une surprise. A bientôt !», et le hashtag en arabe #الله_ينصر_سيدنا («Que dieu garde notre maître», en référence au roi du Maroc).

Ses fans brandissent la théorie du complot

Depuis trois ans, la saga Lamjarred tient en haleine son public marocain toujours aussi fan et au-delà, jusqu'en Arabie Saoudite où il a donné, pas plus tard qu'en décembre, un concert à guichets fermés. Le show en question a réuni un public essentiellement masculin, le prix des billets VIP avait même atteint l'équivalent de 10 000 euros. Pas de coup de frein non plus à sa productivité : les tubes «Ensay», «Njibek», «Ikhallik lili» et «Salam» se sont succédé rapidement.

Malgré ces affaires judiciaires, Saad Lamjarred reste adulé dans son pays natal au point que c'est le Roi Mohammed VI en personne qui avait chargé son avocat personnel Eric-Dupont Moretti de la défense de Saad Lamjarred jusqu'à ce que ce dernier soit mis en cause dans la troisième affaire de viol.

En octobre, le chanteur surnommé «Lamâallem» («le maestro») en référence à son tube éponyme de 2015, aujourd'hui le clip le plus regardé dans le monde arabe avec 800 millions de vues sur YouTube, a diffusé le clip de sa dernière chanson, «Salam», tourné au Maroc. A son compteur, ce dernier a affiché 500 000 vues sur YouTube en moins de deux heures. Dans les messages de ses fans sur les réseaux sociaux revient souvent l'idée d'un complot orchestré par des femmes qui voudraient profiter de sa notoriété ainsi que la conviction de son innocence au regard de sa mise en liberté.

Saad Lamjarred a commencé à se faire connaître dans le monde arabe en 2007 en participant à l'émission libanaise «Super Star» avant que sa chanson «Mal Hbibi Malou» («Qu'arrive-t-il à ma chérie ?») fasse décoller sa carrière en 2013.

«Masaktach», un collectif pour briser le silence

Dans le royaume, très peu de Marocaines portent plainte quand elles sont victimes de viol. La société, très conservatrice, incite les femmes à se taire pour préserver la réputation des familles et pour éviter la hshouma («honte»). Mais cette affaire a quelque peu relancé le débat au Maroc sur les violences contre les femmes et leur perception.

Un collectif marocain #Masaktach («je ne me tairai pas»), apparu en 2018 notamment à la suite de ce scandale, a en effet lancé un appel à témoignages inédit dans le royaume de femmes victimes d'agressions sexuelles, recueillant en quelques jours une vingtaine de témoignages, avec les initiales des agresseurs.

«Parce que la parole des survivantes doit être libérée, parce que la peur doit changer de camp, parce que la preuve des viols et des agressions est souvent difficile, nous mettons notre plateforme à disposition de vos témoignages, tout en conservant votre anonymat», a écrit #Masaktach le 9 février sur sa page Facebook. Cette initiative intervient peu après le dépôt d'une plainte d'une journaliste étrangère installée à Casablanca, ayant requis l'anonymat, contre son violeur présumé. Selon une enquête officielle publiée en 2019, plus de 90% des victimes de violences sexuelles n'ont pas porté pas plainte.