Toutes les semaines, Libération fait le point sur l'actualité du marathon électoral qui doit décider du candidat démocrate à la Maison Blanche. Pour lire l'épisode précédent, c'est ici.
Headlines
• C'était le scrutin de la seconde chance : la primaire du New Hampshire s'est déroulée mardi sans accroc, une semaine après le chaos de l'Iowa. Elle a vu la victoire de Bernie Sanders avec 25,7% des voix, suivi de près par Pete Buttigieg (24,4%). Surprise du jour, la sénatrice Amy Klobuchar complète le podium (19,8%). Ces trois candidats se partagent les 24 délégués du New Hampshire : neuf pour Sanders et Buttigieg, six pour Klobuchar.
• Les deux perdants de ce deuxième rendez-vous des primaires : Elizabeth Warren et Joe Biden, qui tombent sous la barre des 10%. Particulièrement inquiétant pour l'ancien vice-président d'Obama.
• Comme prévu, le New Hampshire a fait le ménage parmi les prétendants. Adieu Andrew Yang, Michael Bennet et Deval Patrick. Il ne reste que huit candidats en lice.
• Au menu des prochains jours : les caucus du Nevada dans une semaine, samedi 22 février, avec vote anticipé du 15 au 18. Et un énième débat télévisé le 19 à Las Vegas. F.A.
Talking my language
Tous les candidats le cherchent, le perdent ou surfent dessus. Il est parfois irrésistible, souvent éphémère. Et il est ces temps-ci sur les lèvres de tous les journalistes et politologues américains. Il faut dire que le «momentum» – mot latin qui veut dire mouvement – se prête parfaitement à la première phase des primaires démocrates. Deux petits Etats très peu représentatifs, l'Iowa et le New Hampshire, ouvrent le bal. Ils offrent aux candidats qui finissent en tête un nombre dérisoire de délégués mais un gros shot de momentum. Une dynamique, un élan, une image de winner… sur laquelle les campagnes s'empressent de capitaliser pour lever des fonds, recruter des bénévoles et rallier des indécis. La palme du momentum, cette semaine, est sans aucun doute revenue à la sénatrice Amy Klobuchar – certains ont parlé de «klomentum». Après un meilleur score que prévu dans l'Iowa, elle a réalisé une excellente performance lors du débat télévisé, vendredi 7 dans le New Hampshire. Et la machine à momentum s'est emballée : couverture médiatique élogieuse, 2 millions de dollars levés dans les 14 heures ayant suivi le débat, des meetings de campagne bondés comme jamais au cours du week-end, … Jusqu'au feu d'artifice dans les urnes, mardi : troisième avec 19,8% des voix, huit points au-dessus de la moyenne des sondages de RealClearPolitics. Le plus dur reste toutefois à venir, à savoir confirmer dans le Nevada puis en Caroline du Sud, où la composition de l'électorat, plus diversifié, lui semble moins favorable. F.A.
Greetings from… Newick’s Lobster House, Dover, New Hampshire
Toutes les semaines, le billet de notre correspondante aux Etats-Unis, Isabelle Hanne
Entre l'Iowa et le New Hampshire, j'ai assisté à plus d'une vingtaine de meetings, interviewé plus du triple de militants, et en ce dimanche midi glacial, j'en ai marre, et j'ai faim. Je décide de faire étape à la Newick's Lobster House, institution familiale de Dover : à moi les lobster rolls, ces sandwichs au homard dans du pain à hot-dog, et autres clam chowders, soupes crémeuses de palourdes et pommes de terre, spécialités de Nouvelle-Angleterre. Surtout, à moi une heure de tranquillité, face aux petites bicoques de pêcheurs de la rivière Piscataqua, qui forme l'estuaire à la frontière du Maine et du New Hampshire. Mais à peine installée, j'entends le client de la table de droite, un type âgé avec un écusson «Korean War Veteran» brodé sur sa veste, s'exclamer dans un rire enroué : «Ecoute ça, c'est Brad Parscale, le directeur de campagne de Trump, qui vient de le tweeter, dit-il, le nez sur son téléphone, à celle qui j'imagine est sa femme. Elizabeth Warren est arrivée en cinquième position dans le comté de Pocahontas (1), dans l'Iowa. Ça c'est du mauvais karma !» Sa femme touille son Bloody Mary sans répondre.
Les serveurs slaloment entre les toiles cirées vichy, promenant des plateaux lourds d'huîtres, de poissons frits et de bols de mayonnaise. Ma pause apolitique est ruinée : je ne peux m'empêcher d'écouter les conversations. Devant moi, ce sont trois femmes, de la grand-mère à la petite fille, qui sont venues manger des fish and chips. La grand-mère : «Je me demande si Sanders va être capable de garder son avance.» La mère : «Je trouve qu'il y a quelque chose de robotique chez Pete [Buttigieg].» La fille : «Je peux aller jouer ?» A gauche, une dame raconte à ses compagnons de tablée ses aventures de porte-à-porte pour la campagne de Buttigieg. A droite, le client âgé continue son monologue, dont je capte la fin : «… je suis sûr qu'il sera réélu, les démocrates, c'est une plaisanterie.» Celui qui semble être le proprio du resto vient le saluer. «Vous avez eu des politiques en campagne ici ?» demande le vétéran pro-Trump. «Oui, plein !, répond le patron, en haussant les épaules. Enfin bon, je saurais pas reconnaître un démocrate. A part Bernie.» I.H.
(1) Trump a affublé la sénatrice du Massachusetts, candidate à la primaire démocrate, du surnom moqueur et raciste de Pocahontas (qui est aussi le nom d'un comté de l'Iowa), parce qu'elle a revendiqué des origines amérindiennes.
Ca$h
Suffit-il de dépenser plus d'argent que les autres pour être élu président des Etats-Unis ? Donald Trump avait déjà mis cette idée à mal en 2016 en menant des campagnes moins dispendieuses que ses concurrents, d'abord lors des primaires républicaines puis lors de la présidentielle proprement dite : selon les données de Bloomberg, il avait dépensé 616 millions de dollars, Hillary Clinton le double. Et Tom Steyer est peut-être en train d'enfoncer définitivement le clou. Tom who ? Même les Américains intéressés par les primaires démocrates semblent ignorer son existence. Pourtant, Tom Steyer est de très loin le candidat aux primaires démocrates ayant dépensé le plus d'argent en Iowa et dans le New Hamsphire dans les publicités télévisées, qui restent le nerf de la guerre électorale américaine. En Iowa, il a lâché 11,3 millions de dollars, soit le double de n'importe qui d'autre, pour rallier 1,74% des voix au premier tour des Caucus. Dans le New Hampshire, ce sont 15,6 millions de dollars qui se sont transformés en spots publicitaires, soit près de la moitié du total de l'ensemble des candidats, pour obtenir 3,61% des suffrages.
A 3 700 dollars la voix en Iowa (au premier tour des Caucus) et 1 450 dollars dans le New Hamsphire, on se dit que ce richissime financier aurait pu dépenser son argent personnel autrement, mais il est parti pour faire pareil au Nevada et en Caroline du Sud, les deux prochains scrutins. Pour un résultat qui ne devrait pas voler beaucoup plus haut… Attention : malgré ce cas extrême, l'argent reste un ressort essentiel des campagnes américaines. Buttigieg, Sanders, Warren et Biden ont tous dépensé au moins 3 millions de dollars dans les publicités électorales en Iowa. B.B.
Backgrounds
Nous avions largement relaté le pataquès géant en Iowa, Etat rural du centre des Etats-Unis, jusque-là très fier de son exception culturelle en matière de vote avec son système de caucus et sa place de numéro 1 dans le processus des primaires. Après le chaos du scrutin, le président du Parti démocrate, Troy Price, a remis sa démission cette semaine. Price et son équipe avaient pourtant mis en place, pour l'élection du 3 février, une nouvelle règle qui devait assurer plus de «transparence» et d'efficacité, après de premiers remous en 2016. Mais des bugs techniques avec une nouvelle application censée centraliser les résultats et d'autres approximations manifestes ont transformé le premier scrutin démocrate en cauchemar. Dans sa lettre de démission, Troy Price se défend d'abord : «Assaillies par des menaces, des moqueries et une colère venues du monde entier, nos équipes ont travaillé sous une immense pression pour obtenir les résultats complets et sont parvenues à le faire en 72 heures.» Mais il reconnaît aussi sa responsabilité : «Il ne fait aucun doute que le processus pour rapporter les résultats n'a pas fonctionné. C'est tout simplement inacceptable.» Et de poursuivre : «J'estime qu'il est temps pour le parti démocrate de l'Iowa de commencer à regarder vers l'avenir, et ma présence à cette fonction rend cela plus difficile.» Une démission et tout est oublié ? Pas sûr du tout. Si les résultats dévoilés dimanche dernier donnent la victoire à Sanders dans le vote populaire et à Buttigieg pour les délégués locaux, des irrégularités demeurent, ce qui a conduit plusieurs candidats à demander un recomptage partiel. Et l'agence de presse AP, habituel juge de paix lors des primaires, n'a toujours pas validé les résultats. En attendant, la campagne continue. B.F.
WTF
Absent des quatre premiers scrutins – Iowa, New Hampshire, mais aussi Nevada le 22 février et Caroline du Sud le 29 février – Michael Bloomberg fourbit ses armes en vue du Super Tuesday, qui verra le 3 mars seize Etats voter. Le milliardaire dépense sans compter dans des publicités TV à travers tout le pays, mais aussi et surtout en ligne : depuis deux semaines, il a dépensé plus d'un million de dollars par jour en publicités Facebook, soit davantage que Donald Trump, pourtant très gourmand en la matière. Mais la stratégie en ligne de Mike Bloomberg ne s'arrête pas là. Il a en effet payé divers influenceurs des réseaux sociaux, notamment sur Instagram, pour diffuser des mèmes (des images virales) le tournant en dérision… tout en pariant qu'ils lui feront de la pub quand même. On a ainsi vu fleurir, sur plusieurs comptes très suivis, de fausses conversations privées où Bloomberg demande aux influenceurs de créer des mèmes à son image.
«Nous essayons d'être innovants dans la façon de faire passer le message de notre campagne sur les réseaux sociaux, de le faire en adéquation avec les codes d'Internet d'aujourd'hui», explique dans le New York Times un membre de l'équipe de campagne de Bloomberg, selon lequel se contenter de «tweeter depuis le compte @mikebloomberg, c'est une stratégie très 2008». Le modèle Donald Trump, champion toutes catégories du message via Twitter, est clairement assumé. D'ailleurs, on a vu jeudi Bloomberg clasher le président américain sur ce réseau social dans un style très trumpien : d'abord un message acerbe qui tape là où ça fait mal, puis un simple gif. La campagne s'annonce très longue… B.B.
Behind the scenes
Activiste climatique, Clément Pairot a vécu de l'intérieur la campagne de Bernie Sanders lors des primaires de 2016. Il raconte cette immersion inédite dans Democrazies (Ed. Qui Mal Y Pense & Max Milo), et nous éclaire sur les coulisses de ces machines politiques.
Quatre jours avant chaque scrutin débute invariablement le «GOTV», ou Get Out The Vote, littéralement «faire sortir le vote». Il ne s'agit plus de convaincre les indécis, mais d'aller voir une dernière fois les soutiens identifiés de votre candidat afin de garantir leur vote effectif le jour J. Pour cela, les bénévoles en porte-à-porte ont un speech spécifique, construit en quatre étapes. D'abord, vérifier : on commence par s'assurer qu'on parle à la bonne personne, qu'elle sait que la primaire est mardi, et qu'elle soutient bien notre candidat. Ensuite, impliquer : on demande à l'électeur pourquoi il soutient le candidat, et on lui laisse le temps de répondre, souvent avec passion et conviction. Ce faisant, il met lui-même en lumière combien il est important de voter. On peut alors enchaîner : «C'est pourquoi chaque vote compte. Vous allez voter mardi ?»
La troisième étape, c'est projeter : après ce premier «oui», on rappelle l'adresse du bureau de vote et on amène l'électeur à se questionner. Sait-il où c'est, comment y aller ? A quel moment ? Pour l'aider à se projeter dans sa journée, le mieux est de raconter comment on fait nous. Par exemple : «Moi, j'ai l'habitude de me lever trente minutes plus tôt pour aller voter et après je ramène les pâtisseries pour le petit-déjeuner. Et vous ?» Cette petite phrase anodine a deux fonctions : s'ouvrir à l'interlocuteur, qui sera plus enclin à faire de même, et l'amener à comprendre que le jour du vote est spécial, qu'il va falloir adapter son planning. Enfin, la dernière étape, cruciale : récolter, obtenir un engagement formel. «Parfait, tout à l'air clair. Du coup, [Nom du candidat] peut compter sur vous pour voter mardi ?» Cette dernière question est déterminante, et doit être posée les yeux dans les yeux, voire en tendant la main.
Ça ne marchera jamais ? Trop intrusif, trop long ? L'expérience dément ces certitudes. Cl.P.