La saga va recommencer. La première visite du FMI à Buenos Aires depuis l’arrivée au pouvoir en décembre du président péroniste de centre gauche Alberto Fernández a rempli sa mission. Le canal de communication est ouvert, la nouvelle renégociation de la colossale dette argentine peut officiellement démarrer. En jeu : 44 milliards de dollars (40,7 milliards d’euros) prêtés par l’organisme de crédit international au pays en 2018, le plus important jamais accordé à un pays émergent, venus s’ajouter aux 151 milliards déjà prêtés par des créditeurs privés. Mais c’est la santé économique du pays et de son peuple, aujourd’hui plus que souffreteuse, qui se joue en ce moment.
«Le poids de la dette est insoutenable. C'est la conséquence d'un schéma économique très loin d'être réussi», a déclaré le ministre de l'Economie, Martin Guzmán, la semaine dernière devant le Congrès, désignant ainsi la précédente administration néolibérale de Mauricio Macri comme la principale responsable des difficultés argentines.
Ce dernier avait hérité en 2015 d'un pays relativement désendetté, à l'exception d'un contentieux avec des fonds d'investissement dits «vautours». En les indemnisant selon leurs exigences (l'une de ses premières mesures), il avait fait revenir l'Argentine sur le marché international du crédit. Son plan : attirer, après des années de protectionnisme, «une pluie d'investisseurs étrangers» grâce à l'attrait de ses politiques d'ouverture économique et financière du pays, et surtout grâce à des taux d'intérêt faramineux.
40% de pauvres
Mais les capitaux arrivés ne sont restés que le temps de la spéculation et n’ont donc pas permis des investissements productifs, du développement. Cette fuite de capitaux a grandement contribué à plonger le pays dans la crise : dévaluation de la valeur du peso par trois, inflation en roue libre, chute de la production et explosion de la pauvreté (qui touche aujourd’hui 40% de la population)…
En trois ans, le pays est entré dans une grave récession. Un panorama peu alléchant pour les investisseurs, qui ont coupé les crédits et commencé à réclamer leur dû. La solution de Mauricio Macri a alors été de continuer cette fuite en avant en demandant un nouveau prêt au seul organisme encore en mesure de le lui accorder : le FMI. Et sans le valider par un vote du Congrès, comme c’est normalement le cas.
Mi-2018, l’organisme a donc débloqué la plus grosse somme jamais prêtée à un pays émergent : 57 milliards de dollars, mais la dernière tranche a été refusée par Alberto Fernández, et l’Argentine n’a finalement touché que 44 milliards. Mais sans changement de politiques financières, les mêmes causes ont produit les mêmes effets. La fuite de capitaux s’est intensifiée et la récession enracinée.
«Reprofilage»
Le peso a continué de dégringoler, accentuant encore l’énormité d’une dette contractée en dollars. Mauricio Macri s’est vu contraint de reconnaître qu’il ne pouvait pas faire face aux échéances programmées. Quelques mois avant de laisser le pouvoir, il a commencé un «reprofilage» des obligations de la dette, autant auprès du FMI que de ses créditeurs privés. Un néologisme pour éviter de se déclarer en défaut de paiement et laisser le sale boulot à son successeur.
Aujourd’hui, l’équipe du nouveau président Fernández, élu en grande partie à cause de l’échec patenté des politiques économiques de son prédécesseur, est dans une situation complexe. Pour 2020, les remboursements de capital et d’intérêts atteignent 34,3 milliards de dollars et ils vont représenter quelque 200 milliards de dollars supplémentaires au cours des quatre prochaines années. Les réserves internationales de l’Argentine, elles, culminent à 44,68 milliards de dollars.
Comment rembourser sans saigner un peu plus son peuple ? Le plan économique d’Alberto Fernández, dont les contours restent partiellement flous, ne prévoit pas de réduction drastique du déficit fiscal mais tend à relancer l’activité économique, aujourd’hui exsangue, par la demande. En clair, redonner du pouvoir d’achat aux Argentins, soit le contraire des mesures d’austérité prônées par le FMI.
Nécessité d’un audit
Il demande du temps pour que le pays se redresse et puisse commencer à rembourser. La vice-présidente Cristina Kirchner (et ancienne présidente du pays de 2007 à 2015) a quant à elle évoqué la nécessité d’un audit de cette dette en vue d’un allègement de son capital, en principe interdit par les statuts du FMI et déjà refusé par Kristalina Georgieva, la directrice du Fonds. Mais ces mêmes statuts prohibent également l’attribution d’un prêt s’il est destiné au remboursement d’une dette préalable et à la fuite de capitaux, ce qui a été le cas en Argentine.
«Alors pourquoi faire valoir un interdit et pas l'autre ?» a-t-elle questionné. Le FMI est «aussi responsable de la crise de la dette et de la crise économique que vit aujourd'hui l'Argentine», a confirmé le ministre de l'Economie, Martin Guzmán, qui part ce week-end en Arabie Saoudite pour assister au sommet du G20, où il rencontrera notamment Kristalina Georgieva. Pour poursuivre le bras de fer.