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Dettes

Entre l’Argentine et le FMI, un bras de fer très politique

Acculé par ses créanciers, Buenos Aires tente de renégocier depuis mercredi le prêt colossal contracté par l’ex-président Macri afin d’éviter une saignée sociale dans le pays.
Le ministre de l’Economie, Martín Guzmán, le 12 février devant le Congrès juste avant la visite du FMI dans le pays. (Photo A. Marcarian. Reuters)
par Mathilde Guillaume, Correspondante à Buenos Aires
publié le 19 février 2020 à 20h36

La saga va recommencer. La première visite depuis mercredi du Fonds monétaire international (FMI) à Buenos Aires depuis l’arrivée au pouvoir, en décembre, du président péroniste de centre gauche Alberto Fernández a rempli sa mission. Le canal de communication est ouvert, la nouvelle renégociation de la colossale dette argentine peut démarrer. En jeu : 44 milliards de dollars (40,7 milliards d’euros) prêtés par l’organisme de crédit international au pays en 2018, soit le prêt le plus important jamais accordé à un pays émergent, venu s’ajouter aux 151 milliards déjà prêtés par des créditeurs privés. Mais c’est la santé économique du pays et de son peuple, aujourd’hui plus que souffreteuse, qui se joue en ce moment.

«Le poids de la dette est insoutenable. C'est la conséquence d'un schéma économique très loin d'être réussi», a déclaré le ministre de l'Economie, Martin Guzmán, la semaine dernière devant le Congrès, désignant ainsi la précédente administration néolibérale de Mauricio Macri comme la principale responsable des difficultés argentines.

Ce dernier avait hérité en 2015 d'un pays relativement désendetté, à l'exception d'un contentieux avec des fonds d'investissement dits «vautours». En les indemnisant selon leurs exigences (l'une de ses premières mesures), il avait fait revenir l'Argentine sur le marché international du crédit. Son plan : attirer, après des années de protectionnisme, «une pluie d'investisseurs étrangers» grâce à l'attrait de ses politiques d'ouverture économique et financière du pays, et surtout grâce à des taux d'intérêts faramineux.

Mais les capitaux arrivés ne sont restés que le temps de la spéculation et n’ont donc pas permis des investissements productifs. Cette fuite de capitaux a grandement contribué à plonger le pays dans la crise : dévaluation du peso, inflation en roue libre, chute de la production et explosion de la pauvreté (qui touche 40 % de la population)…

Fuite en avant

En trois ans, le pays est entré dans une grave récession. Un panorama peu alléchant pour les investisseurs, qui ont coupé les crédits et commencé à réclamer leur dû. La solution de Mauricio Macri a été de continuer cette fuite en avant en demandant un nouveau prêt au seul organisme encore en mesure de le lui accorder : le FMI. Et sans le valider par un vote du Congrès.

Mi-2018, l’organisme a débloqué 57 milliards de dollars, mais la dernière tranche a été refusée par Alberto Fernández, et l’Argentine n’a finalement touché «que» 44 milliards. Et sans changement de politique financière, les mêmes causes ont produit les mêmes effets. La fuite de capitaux s’est intensifiée et la récession enracinée.

Le peso a continué de dégringoler, accentuant encore l’énormité d’une dette contractée en dollars. Mauricio Macri s’est vu contraint de reconnaître qu’il ne pouvait pas faire face aux échéances programmées. Quelques mois avant de laisser le pouvoir, il a commencé un «reprofilage» des obligations de la dette, autant auprès du FMI que de ses créditeurs privés. Un néologisme pour éviter de se déclarer en défaut de paiement et laisser le sale boulot à son successeur.

Aujourd’hui, l’équipe du président Fernández, élu en grande partie à cause de l’échec patenté des politiques économiques de son prédécesseur, est dans une situation complexe. Pour 2020, les remboursements de capital et d’intérêts atteignent 34,3 milliards de dollars et ils vont représenter quelque 200 milliards supplémentaires au cours des quatre prochaines années. Les réserves internationales de l’Argentine, elles, culminent à 44,68 milliards de dollars.

Pouvoir d’achat

Comment rembourser sans saigner un peu plus son peuple ? Le plan économique d’Alberto Fernández, dont les contours restent flous, ne prévoit pas de réduction drastique du déficit fiscal mais tend à relancer l’activité économique, aujourd’hui exsangue, par la demande. En clair, redonner du pouvoir d’achat aux Argentins, soit le contraire des mesures d’austérité prônées par le FMI.

Il demande du temps pour que le pays se redresse et puisse commencer à rembourser. La vice-présidente (et ancienne présidente du pays de 2007 à 2015), Cristina Kirchner, a quant à elle évoqué la nécessité d'un audit de cette dette en vue d'un allègement de son capital, en principe interdit par les statuts du FMI et déjà refusé par Kristalina Georgieva, la directrice du Fonds. Mais ces mêmes statuts prohibent également l'attribution d'un prêt s'il est destiné au remboursement d'une dette préalable et à la fuite de capitaux, ce qui a été le cas en Argentine. «Alors pourquoi faire valoir un interdit et pas l'autre ?» a-t-elle questionné. Le FMI est «aussi responsable de la crise de la dette et de la crise économique que vit aujourd'hui l'Argentine», a confirmé le ministre de l'Economie, qui part ce week-end en Arabie Saoudite pour assister au sommet du G20, où il rencontrera notamment Kristalina Georgieva. Pour poursuivre le bras de fer.