Fondateur de l’hebdomadaire l’Espresso et du grand progressiste italien la Repubblica, Eugenio Scalfari a partagé pendant près de soixante-dix ans la même passion journalistique et politique que son ami Jean Daniel.
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«J’ai connu Jean Daniel en Algérie dans les années 50 au cours d’un reportage. Il s’était blessé accidentellement et avec quelques amis, nous l’avions emmené à l’hôpital. De cette époque est née une amitié fraternelle. Je le voyais régulièrement quand il était à Paris. Je me souviens en particulier quand il a décidé de convaincre Claude Perdriel à racheter l’Observateur où lorsqu’il organisa une soirée avec Albert Camus. Nos liens étaient étroits et il voulait en partie s’inspirer de l’expérience de l’Espresso, l’hebdomadaire que j’avais fondé quelques années auparavant. La ligne que nous partagions et qui a été celle de toute notre vie c’est celle d’une gauche libérale et socialiste. Politiquement, nous avons toujours été d’accord et nous étions régulièrement en contact. Nous nous voyions notamment dans sa maison de vacances près de Rome ou à Paris. Il se fiait à mes analyses sur la situation italienne et moi je partageais les siennes sur la France. Il était en particulier très curieux de suivre la transformation du Parti communiste d’Enrico Berlinguer.
«J’ai organisé une rencontre entre les deux. Jean était passionné par l’évolution du PCI qui avait rompu avec Moscou et qui de facto était devenu un parti socialiste. Dans les années 80, nous avions imaginé de lancer ensemble un journal européen. La Repubblica devait apporter une partie des capitaux avec El Pais et The Independent. Le quotidien que Jean aurait dirigé devait s’appeler «La République européenne». Malheureusement, le projet n’a pas abouti, notamment parce qu’en Italie nous avons dû défendre la Repubblica des attaques [de Silvio Berlusconi, ndlr]. Mais malgré l’échec du projet, nous sommes toujours restés extrêmement proches. L’an dernier, je l’ai appelé pour son anniversaire mais il ne pouvait plus parler. Malgré tout, il voulait prolonger nos conversations. Il faisait des gestes pour s’exprimer et sa femme me les traduisait. Pour comprendre l’héritage de Jean Daniel, il faut relire ses articles, clairvoyants. Les articles d’un homme de la gauche démocratique.»