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Libération
Présidentielle

Togo : un quatrième mandat à portée de main pour Faure Gnassingbé

Opposition divisée, scrutin verrouillé... L’élection présidentielle de ce samedi ne devrait pas échapper au chef de l’Etat sortant, qui a succédé à son père en 2005.
Faure Gnassingbé est président depuis quinze ans, son père l’avait été avant lui pendant près de trente-huit ans. (Photo P.UTOMI EKPEI. AFP)
publié le 21 février 2020 à 20h11

L’élection présidentielle togolaise n’est pas à ranger dans la collection des films à suspense. L’acteur principal, Faure Gnassingbé, gagne toujours à la fin. Comme son père avant lui. Eyadema Gnassingbé était resté à la tête du pays jusqu’à sa mort, soit presque trente-huit ans. «Le Fils», comme on dit au Togo tant le nom de famille est superflu, entame sa quinzième année à la présidence. A nouveau, le scrutin de ce samedi ne devrait être qu’une formalité.

«Mascarade». Cette année, parmi les candidats-challengers, on compte deux seconds rôles et six figurants. Jean-Pierre Fabre, 67 ans, président de l'Alliance nationale pour le changement (ANC), le principal parti d'opposition, se présente pour la troisième fois. En 2015, il avait remporté 35 % des voix. «Nous n'avons qu'un adversaire, c'est le régime», répète Eric Dupuy, son porte-parole. Il passe pourtant beaucoup de temps à observer son rival Agbéyomé Kodjo, 65 ans, ex-Premier ministre d'Eyadema qui s'est proclamé «candidat unique de l'opposition» après sa désignation, au terme d'un long processus, par la coalition des Forces démocratiques. Une dynamique «unitaire» parrainée par l'influent archevêque émérite de Lomé, Mgr Kpodzro. Ces dernières semaines, le doyen du clergé a fait ouvertement campagne pour son poulain.

Depuis la réforme constitutionnelle de l'an dernier, un second tour est théoriquement prévu si aucun des candidats ne dépasse la barre des 50 % des voix. L'hypothèse ne semble même pas effleurer la majorité présidentielle. «Notre bilan est notre meilleur atout. Il y a une impatience sur le plan économique et social, et nous sommes les mieux préparés pour y répondre, affirme Christian Trimua, ministre des Droits de l'homme, de passage à Paris. A cause de la crise de 2017, nous avons pris du retard sur la construction des infrastructures hospitalières, sur la couverture maladie universelle et sur le programme national de développement. Mais tout cela va s'accélérer.»

Il y a deux ans, le régime avait été surpris par un vaste mouvement de contestation déclenché à l'initiative du jeune et radical Parti national panafricain (PNP). «Son leader, Tikpi Atchadam, est un homme du Nord, qui est normalement le bastion du pouvoir. C'est ce qui a fait paniquer Faure», estime Comi Toulabor, ancien directeur de recherche à Sciences-Po Bordeaux. Mais un mélange de répression et de négociations a réussi à éteindre l'incendie. «Les prisons sont pleines de militants du PNP, leurs rassemblements sont systématiquement interdits ou perturbés», explique Ferdinand Ayité, directeur de publication du journal d'investigation l'Alternative.

Son chef de file vit désormais en exil, entre le Ghana et la Guinée. Le PNP a appelé au boycott de la présidentielle. «C'était un bouton de fièvre qui est parti avec du Doliprane, balaie Christian Trimua. Tikpi Atchadam a créé un mythe autour de lui, il cherche à devenir un produit rare sur le marché pour se faire désirer. Mais la photo de 2017 est-elle toujours exacte ? Certainement pas.»

A Lomé, personne n'imagine sérieusement que l'élection puisse échapper à Faure Gnassingbé. «C'est une mascarade, soupire Ferdinand Ayité. La révision des listes d'électeurs a été un désastre, le régime contrôle à la fois la Cour constitutionnelle et la Commission électorale nationale indépendante (Céni).» La mission d'observation de l'Eglise, «Justice et paix», a été interdite car considérée comme «partiale». Celle de l'Union européenne n'a pas été sollicitée. Quant à la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote, une demande de l'opposition qui permettrait de comparer les scores affichés sur les 9 389 portes des lieux de vote avec ceux compilés par les autorités, elle a été sèchement refusée. «Techniquement trop compliqué, justifie Christian Trimua. Il faudrait à la fois une révision du code électoral et une reconfiguration complète de la Céni.»

Magnanime. Les voies légales de recours sont bouchées, s'indigne par avance l'opposition, qui ne dispose d'aucun siège au Parlement après avoir refusé de participer aux législatives de 2018. Reste l'option de la rue. Mais le PNP semble éreinté par le harcèlement des autorités, tandis que Jean-Pierre Fabre et Agbéyomé Kodjo, malgré leurs rodomontades, savent qu'ils sortiraient laminés d'un bras de fer avec le pouvoir. Pour éviter une nouvelle crise post-électorale, Gnassingbé pourrait d'ailleurs leur tendre la main - et distribuer des postes haut placés - à l'issue du scrutin, dans un geste d'apaisement présenté comme magnanime.

«C’est la raison pour laquelle chacun veut la deuxième place, commente Comi Toulabor. Les partis politiques togolais ne sont pas des organisations de masse. Ils crient à la dictature, mais à la fin, ils sont obligés d’occuper la place que le Président daigne leur laisser.» Le Togo est le dernier pays d’Afrique de l’Ouest où l’alternance, «le seul mot d’ordre de l’opposition, usé jusqu’à la corde», reste une chimère.