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Libération
A la barre

Au procès de Julian Assange, ses partisans disent «non à l’extradition»

Au premier jour du procès du chef de file de WikiLeaks, l'avocat de l'administration américaine a accusé Assange d'avoir par ses publications «mis en danger» des sources, tandis que sa défense dénonçait une procédure «politique».
Des soutiens de Julian Assange, à Londres samedi. (Photo Tolga Akmen. AFP)
publié le 24 février 2020 à 20h39

Des banderoles et des pancartes «Libérez Assange», «Non à l'extradition», «Nous sommes tous Julian Assange». Quelques tentes plantées dans l'herbe, non loin des grilles. Devant le tribunal de Woolwich, dans l'est de Londres – juste à côté de la prison de haute sécurité de Belmarsh, où le fondateur de WikiLeaks est incarcéré depuis son arrestation en avril –, on croise John Shipton, le père du fondateur de WikiLeaks, les avocats de l'Australien, mais aussi des chasubles fluorescentes, dont celle de Maxime Nicolle alias «Fly Rider» : un car de gilets jaunes a fait le déplacement depuis la France. Toute la journée, des chants, des slogans, des sirènes se feront entendre jusque dans la salle d'audience et dans l'annexe réservée aux médias.

Peu après 10 heures, Assange, rasé de près, blazer gris-bleu sur sweat-shirt gris, confirme à la juge Vanessa Baraitser son identité et son âge, 48 ans. Juste avant la pause de 13 heures, il prendra la parole pour expliquer qu'il a le plus grand mal à entendre les débats et à se concentrer : il est isolé par une vitre, et les clameurs de ses soutiens à l'extérieur, qu'il comprend, n'aident pas. Durant la matinée, il aura compulsé des dossiers et surtout écouté James Lewis, l'avocat qui représente les Etats-Unis, exposer les raisons pour lesquelles l'administration américaine réclame son extradition.

Outre-Atlantique, le chef de file de WikiLeaks est sous le coup de 18 chefs d'inculpation : l'un pour piratage informatique – il est accusé d'avoir tenté d'aider Chelsea Manning, la source des centaines de milliers de documents de l'armée américaine sur les guerres d'Irak et d'Afghanistan et des câbles diplomatiques publiés par WikiLeaks en 2010, à «craquer» un mot de passe – et les 17 autres au titre de la loi américaine sur l'espionnage, ce qu'ont dénoncé nombre d'associations de défense des droits humains et de la liberté de la presse. L'Australien est ainsi mis en cause pour «association de malfaiteurs en vue de recevoir des informations relevant de la défense nationale», «obtention» et «divulgation» de ces informations.

Documents non expurgés

La stratégie de Lewis est claire : Assange, assène-t-il, n'est pas inculpé «pour avoir dévoilé des informations embarrassantes ou gênantes que le gouvernement [américain] aurait préféré ne pas divulguer», mais pour avoir «incité» Chelsea Manning à s'emparer de documents classifiés et «mis en danger des sources, des dissidents, des militants des droits humains» en Iran, en Irak ou en Afghanistan en publiant des documents non expurgés. En septembre 2011, soit près d'un an après la publication des premiers câbles diplomatiques américains en partenariat avec plusieurs médias, WikiLeaks avait en effet mis en ligne l'archive complète, reprochant alors aux journalistes du Guardian d'avoir rendu public dans un livre le mot de passe permettant d'accéder au dossier protégé. Selon Lewis, «des centaines de sources» ont dû être averties, certaines relocalisées, et certaines ont plus tard «disparu» – sans que les autorités n'aient pour autant pu établir un lien avec les publications de WikiLeaks.

Dans l'après-midi, c'est au tour d'Edward Fitzgerald, l'avocat d'Assange, de s'exprimer. Et d'insister, a contrario, sur les «efforts» conduits par WikiLeaks, durant l'année 2010, pour expurger des masses de documents dévoilés par la plateforme les éléments susceptibles de mettre en danger des personnes. Quand l'intégralité des câbles a été publiée, «les informations étaient déjà disponibles», insiste-t-il.

«Haut risque de suicide»

Au-delà du fond des accusations américaines, l'équipe de défense de l'Australien entend surtout faire échec à la demande d'extradition en arguant d'un caractère purement politique – soulignant notamment que l'administration Obama avait renoncé à utiliser l'Espionage Act à l'encontre d'Assange. Fitzgerald a également abordé dans son discours introductif la visite de l'élu républicain de Californie Dana Rohrabacher à Assange, alors reclus dans l'ambassade d'Equateur, à l'été 2017 : Rohrabacher, a-t-il avancé, aurait alors, pour le compte de Trump, proposé à l'Australien une grâce présidentielle en échange de déclarations sur la source des mails du camp démocrate publiés par WikiLeaks durant la campagne présidentielle américaine – ce que nie la Maison Blanche, tandis que l'élu affirme avoir agi sans consulter le président américain. L'avocat a aussi évoqué la surveillance hyperrapprochée à laquelle a été soumis Assange à l'ambassade à compter de la fin 2017, fait valoir qu'un procès «juste et équitable» serait impossible s'il venait à être jugé aux Etats-Unis, et mis en avant le risque de mauvais traitements et le «haut risque de suicide» de son client en cas d'extradition.

La bataille, en tout état de cause, ne fait que commencer. Les débats, qui doivent se tenir durant une semaine, reprendront à la mi-mai pour trois semaines supplémentaires. Sans compter qu'en cas de première décision défavorable, l'équipe de défense tentera tous les recours possibles, qui peuvent théoriquement amener le cas de Julian Assange jusque devant la Cour suprême du Royaume-Uni ou la Cour européenne des droits de l'homme.