Le ministre de la Défense turc, Hulusi Akar, a confirmé dimanche le déclenchement de l’opération militaire «Bahar Kalkani» («bouclier du printemps») dans la région d’Idlib contre les troupes syriennes deux jours plus tôt. Cette annonce fait suite à trois jours de combats intenses en Syrie. Dans la nuit de jeudi à vendredi, les aviations russe et syrienne ont tué une trentaine de soldats turcs au sud d’Idlib. La réaction a été immédiate. Les positions du régime de Damas sur le front font l’objet d’un pilonnage en règle par artillerie, drones et bombardiers. Ces derniers ne pénètrent apparemment pas l’espace aérien syrien. Et les frappes ne se limitent pas aux zones de combats. Des cibles militaires du régime à Homs, Hama, Lattaquié et Alep ont également été visées. Sur les chaînes de télévision turques, des images de ces bombardements tournent en boucle.
Samedi, le président Erdogan a enjoint par téléphone son homologue russe Vladimir Poutine à se retirer des combats et à laisser la Turquie seule face au régime syrien. Damas a lancé en décembre une offensive brutale dans la province d'Idlib au côté de son allié russe, rendant caduque l'accord de Sotchi de 2018 qui prévoyait de faire de la région une zone de désescalade. «Nous ne sommes pas allés là-bas parce que nous avons été invités par [le président Assad]. Nous y sommes allés parce que le peuple de Syrie nous y a invités. Nous n'avons pas l'intention de partir tant que le peuple de Syrie ne nous aura pas dit : "OK, c'est fait"», a ajouté le chef de l'Etat turc.
Avertissement
Face à la situation qui menace de devenir totalement hors de contrôle, Moscou semble avoir enfin accepté l’idée d’une rencontre au sommet avec Ankara, qui devrait avoir lieu jeudi ou vendredi. Les ministres des Affaires étrangères des pays de l’UE doivent également participer à une réunion extraordinaire cette semaine, a annoncé Bruxelles.
La situation demeure très confuse. La Russie aurait-elle sous-estimé la volonté de la Turquie d’empêcher la chute d’Idlib ainsi que sa capacité de réaction ? Certains envisagent aujourd’hui le bombardement des soldats turcs comme un ultime avertissement après que l’armée turque a délivré des missiles sol-air aux rebelles. Ceux-ci en réclament depuis 2012 et ont abattu deux hélicoptères syriens ces quinze derniers jours. S’il s’agissait d’un avertissement, pourquoi l’aviation russe a-t-elle déserté le ciel de la région pendant plus de quarante-huit heures, permettant à la Turquie de mener des opérations qui ont de facto brisé pour quelques jours l’offensive de Damas ? En attendant, celle d’Ankara confirme que son armée peut renverser la situation sur le terrain si elle n’est confrontée qu’à l’armée syrienne.
Drones
Ces derniers jours sont le point d’orgue d’une crise en gestation depuis un mois et rien ne dit encore qu’Ankara et Moscou seront à même de trouver un compromis cette semaine. La Turquie a perdu plus de 55 soldats depuis début février. Elle s’est trop engagée dans cette crise pour reculer. Erdogan ne peut se permettre l’humiliation d’une retraite. De même, la Russie aurait tout à perdre en restant passive pendant que l’armée syrienne qu’elle porte à bout de bras et tente de reconstruire depuis 2015 se fait étriller par les drones turcs. Enfin, les deux puissances, qui continuent de patrouiller ensemble à la frontière, dans le nord-est de la Syrie, souffriraient trop d’un conflit direct. Mais les termes d’un accord entre les deux parties restent pour le moment à imaginer.
Dimanche, trois journalistes et le directeur de publication du média russe pro-Kremlin Sputnik News Turkey ont été interpellés par la police turque après la publication d'un article sur la province de Hatay, à la frontière syrienne, intitulé «Antioche, la province volée», qui a fait scandale en Turquie. Ils ont été relâchés dans la journée.
Frontière grecque
Pendant ce temps, Ankara a obtenu un soutien de ses alliés de l’Otan. Les Etats-Unis pourraient déployer une ou deux batteries de missiles antiaériens à la frontière. De même, l’Espagne a proposé un soutien logistique tandis que l’Italie et le Royaume-Uni pourraient fournir des systèmes antimissiles et des équipements de guerre électronique. Les Pays-Bas se disent prêts à fournir un appui militaire et l’Allemagne pourrait apporter un soutien financier.
A la frontière gréco-turque, la situation est aussi instable. Vendredi, la Turquie a annoncé ne plus retenir les migrants qui voudraient rejoindre l'Europe. Depuis, 13 000 personnes selon l'ONU (76 000 selon la Turquie) ont convergé principalement vers le poste frontière d'Edirne, y compris grâce à des bus mis à leur disposition par des municipalités tenues par l'AKP d'Erdogan. Ils ont été stoppés par des policiers grecs. «Ce sont des migrants clandestins, nous ne les laisserons pas rentrer», a déclaré un officiel grec à Reuters. La Grèce et la Bulgarie ont renforcé leurs contrôles. Tandis que des milliers de candidats à l'exil se massent sur les côtes turques, la mer agitée empêchait jusqu'à dimanche les embarcations d'atteindre les îles grecques. Celles-ci ont été récemment le théâtre de tensions au sujet des camps de réfugiés surpeuplés qu'Athènes voudrait agrandir.