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Pataquès

Allemagne : Bodo Ramelow élu sur le fil à la tête de la Thuringe

Après un mois d’une crise politique majeure, le Land de Thuringe peut donc de nouveau fonctionner, et se doter d’un gouvernement constitué d’une coalition de gauche regroupant Die Linke, les Verts et le SPD.
Bodo Ramelow tout juste élu à Erfurt, le 4 mars. (HANNIBAL HANSCHKE/Photo Hannibal Hanschke. Reuters)
publié le 4 mars 2020 à 19h35

Il aura fallu un vote de deux heures et demie, trois tours et bien des sueurs froides, mais Bodo Ramelow (Die Linke, gauche) a bien été élu ministre-président de Thuringe, Land du centre de l'Allemagne. Le soulagement est palpable, et pas seulement au Parlement d'Erfurt où s'est déroulé le scrutin, ce mercredi après-midi.

Après un mois d'une crise politique majeure en Allemagne, une trêve a donc été conclue, avant de nouvelles élections régionales au printemps 2021. La Thuringe peut donc de nouveau fonctionner, et se doter d'un gouvernement constitué d'une coalition de gauche regroupant Die Linke, les Verts et le SPD.

Tout avait commencé le 5 février, lorsqu'un ministre-président libéral (FDP), Thomas Kemmerich, avait été élu avec les voix d'Alternative pour l'Allemagne (AfD, extrême droite) et de la CDU (droite conservatrice), dans le but de contrer l'élection de Bodo Ramelow, dont le parti de gauche Die Linke était sorti premier aux élections du 27 octobre (31%). Cette élection suscita un tollé dans toute l'Allemagne, et la CDU et le FDP furent montrés du doigt pour avoir pactisé avec le diable.

Devant le scandale, Thomas Kemmerich démissionnait vingt-quatre heures après son élection, suivi du chef de la CDU en Thuringe, Mike Mohring, et surtout de la présidente de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer.

42 «oui», 23 «non» et 20 abstentions

A Erfurt, on a donc voté trois fois mercredi. Il y avait la candidature de Bodo Ramelow, soutenue par les Verts et le SPD, mais aussi celle de Björn Höcke, chef de l'AfD en Thuringe. Le premier tour a donné 42 voix pour Ramelow (ce chiffre correspond au nombre de députés Die Linke, Verts et SPD au Parlement régional), et 22 pour Höcke (ce chiffre correspond au nombre de députés AfD au Parlement). On a compté 21 abstentions, ce qui correspond au nombre de députés CDU, tandis que le FDP, de son côté, a refusé de participer au vote. Même chose au second tour. Au troisième tour, tout s'est joué à la majorité simple, et Björn Höcke n'était plus candidat. Ce fut donc 42 «oui» pour Ramelow, 23 «non» et 20 abstentions.

Autrement dit, et même si le vote est anonyme, il y a un «non» de plus que le nombre de députés AfD au Parlement, et aussi une abstention de moins que le nombre de députés CDU. On peut interpréter cela ainsi : un député CDU a pu voter «non» contre Ramelow au lieu de s'abstenir, comme le préconisait son parti. Pour certains parlementaires conservateurs en effet, le rejet viscéral de la gauche prime sur tout.

Pas de poignée de main

Une image aura marqué la journée : le refus de Ramelow de serrer la main de Höcke. «Cela peut être considéré comme des manières grossières», a commenté le nouveau dirigeant de Thuringe, tout en justifiant ce non-geste à la Bartleby : Höcke s'était vanté après le 5 février d'avoir tendu un «piège» politique, et Ramelow estime qu'il ne joue pas le jeu démocratique. «Si j'entends clairement que la démocratie prend le dessus, alors je serai prêt à vous serrer la main, Monsieur Höcke», a-t-il ajouté. Cette non-poignée de main s'oppose à celle échangée le 5 février lors de l'élection de Kemmerich, entre ce dernier et Höcke, qualifiée de «poignée de main de la honte» dans la presse.

Reste que l'AfD sort plutôt gagnante de cette histoire. Que Björn Höcke, chef de l'AfD en Thuringe et membre éminent de son aile nationale identitaire, Der Flügel, se soit présenté à cette élection illustre parfaitement la stratégie de l'AfD : disruption, destruction des équilibres démocratiques et recherche d'un important écho médiatique. Sans doute aussi qu'en se plaçant dans la course à la présidence, tout en sachant qu'il ne serait pas élu, Höcke préparait patiemment le terrain pour l'année prochaine.