Chaque jour ou presque amène l'annonce d'un nouveau départ des associations humanitaires de l'île grecque de Lesbos. Ce mardi, c'est un groupe de médecins volontaires qui est parti, après avoir été attaqué par des hommes armés de gourdins près du camp de réfugiés de Moria. Depuis l'annonce de l'ouverture des frontières turques aux réfugiés, ce sont des habitants chauffés à blanc qui s'en prennent aux membres des ONG. Mais depuis plusieurs années, les autorités grecques, comme bien d'autres en Europe, ont aussi mis en place un arsenal législatif qui complique le travail des humanitaires. C'est ce que montre un rapport d'Amnesty International publié ce mercredi et consacré à la «criminalisation de la solidarité».
«La perception publique et l'attitude à l'égard des ONG qui travaillent avec des réfugiés et des migrants en Grèce a basculé au fil du temps, reflétant le changement d'approche de la question migratoire par les autorités. Les défenseurs des droits humains rencontrent une suspicion et une hostilité croissante», note le rapport. La première mesure ciblant les ONG a été prise en janvier 2016, juste avant la conclusion de l'accord migratoire entre l'Union européenne et la Turquie. Elle impose aux associations travaillant à Lesbos de s'enregistrer auprès du gouvernement. A partir de cette date, la Grèce a aussi commencé à utiliser la législation antipasseurs contre les ONG, avec des sanctions particulièrement dures.
Procès
La pression s'est intensifiée ces derniers mois, avec une loi réduisant l'accès des humanitaires aux centres de d'accueil et de détention des migrants et l'annonce de la création d'un groupe de travail destiné à inspecter les activités des ONG. Depuis février, les membres des associations qui travaillent avec les migrants doivent aussi s'identifier personnellement auprès du ministère de l'Immigration. Ces nouvelles lois ont notamment permis d'intenter un procès à deux volontaires de l'ONG grecque Emergency Response Centre International, et à trois pompiers espagnols qui travaillaient pour l'ONG Proem-Aid, de trafic d'humains.
Ces cas sont loin d'être limités à la Grèce. Il existe des Carola Rackete partout en Europe, des membres d'ONG qui désobéissent aux lois anti-immigration, comme la capitaine allemande du Sea Watch 3 l'avait fait l'été dernier en forçant l'entrée du port italien de Lampedusa, pour y faire débarquer les migrants qu'elle venait de sauver en mer. «Entre 2015 et 2018, 158 personnes ont fait l'objet d'une enquête ou de poursuites pour avoir aidé à l'entrée ou au séjour irrégulier de personnes étrangères dans un Etat de l'UE, et 16 ONG ont fait l'objet d'une procédure judiciaire», note le rapport. Un nombre qui a très probablement continué à augmenter, au vu du renforcement des mesures anti-immigration.
Bateaux de sauvetage bloqués
«Depuis 2015, les dirigeants européens se sont concentrés sur la réduction des arrivées, mettant de côté toute autre considération, écrit Amnesty International. Sécuriser les frontières extérieures de l'Union pour empêcher les traversées illégales est devenu leur priorité, et les passeurs sont apparus comme l'ennemi à abattre.» Les humanitaires sont à leur tour devenus la victime collatérale de ces politiques, à mesure que les gouvernements les assimilaient aux passeurs. «Comme l'externalisation des frontières, ces mécanismes ont contribué à invisibiliser les migrants. Ils prennent des chemins de plus en plus périlleux, où il est plus dur de leur venir en aide, explique Lola Schulmann, chargée de plaidoyer réfugiés et migrants à Amnesty International France. On en est arrivés à un point où l'on considère que les actes d'humanité menacent la sécurité et l'ordre public.»
Dans ce contexte, tous les moyens sont bons pour empêcher les ONG d'agir. Depuis le 23 février, l'Ocean Viking, bateau de sauvetage de SOS Méditerranée et de MSF, est bloqué au large de Pozzallo en Sicile. Après avoir fait débarquer 276 rescapés d'un naufrage, les 32 membres d'équipage et leur navire ont été mis en quarantaine au large du port. «Cette décision est étrange et dangereuse. Elle tient le bateau éloigné de la zone de sauvetage, alors que de nombreuses traversées ont lieu en cette période, et qu'aucun réfugié ou membre d'équipage n'a été testé positif au coronavirus», explique un porte-parole de MSF. Plus aucun bateau d'ONG n'opère en ce moment en Méditerranée centrale, puisque le Sea Watch 3 est lui placé en quarantaine au large de Messine depuis le 27 février. Ces deux bateaux sont les deux seuls dans cette situation sur l'ensemble des côtes italiennes.