Lentement mais sûrement, François Compaoré se rapproche du Burkina Faso. Le gouvernement français a autorisé l'extradition du frère cadet du président Blaise Compaoré, renversé par une insurrection populaire en octobre 2014. Le «petit président», comme on le surnommait pendant le règne de son aîné, avait été interpellé à l'aéroport de Roissy trois ans après avoir fui son pays, en exécution d'un mandat d'arrêt émis par les autorités de Ouagadougou.
Car une affaire judiciaire vieille de vingt et un ans colle à la peau de François Compaoré. Celle de l'assassinat du journaliste Norbert Zongo, retrouvé calciné dans son 4x4, le 13 décembre 1998. «L'enquête a établi que Zongo et les trois autres occupants du véhicule qui les transportait ont probablement été contraints par des individus de stationner sur une piste, au cours d'un déplacement à l'intérieur du pays, puis mitraillés à bout portant. Et qu'ensuite, ces individus ont mis le feu au véhicule qui a presque entièrement consumé des corps agonisants», rappelait Habibou Fofana, enseignant-chercheur en sociologie à l'université Ouaga-II, en 2016. Le directeur du journal d'investigation l'Indépendant venait alors de publier une série d'articles sur la mort mystérieuse de David Ouedraogo, le chauffeur de François Compaoré. Le meurtre du célèbre journaliste – mal maquillé en accident de la route – embrase à l'époque le pays, dans ce qui ressemble à une répétition du soulèvement de 2014.
«Beau Blaise»
Pour calmer les esprits, le régime autorise la constitution d'une commission d'enquête indépendante, qui désigne en mai 1999 six «suspects sérieux», tous membres du Régiment de sécurité présidentiel (RSP), la garde prétorienne du chef de l'Etat. Sur le plan judiciaire, cependant, le dossier se conclut par un non-lieu en 2006. Au procès, François Compaoré comparaît en tant que simple témoin. Il n'est pas question, à l'époque, d'égratigner le puissant frère et conseiller de Blaise Compaoré, redouté autant que détesté par la population.
La chute du «beau Blaise» va changer la donne. L'enquête est rouverte en décembre 2014. «Thomas Sankara [le leader charismatique renversé et assassiné en 1987, ndlr] et Norbert Zongo sont les deux héros absolus de la population burkinabée, en particulier de la jeunesse, leur mémoire est extrêmement vivante, explique Bruno Jaffré, auteur de l'Insurrection inachevée : Burkina Faso 2014 (1). Même si le nouveau pouvoir à Ouagadougou ne cherche pas vraiment à remuer les sales affaires de l'ancien régime, il ne peut pas échapper à ces deux cas emblématiques. Pour l'actuel président, Roch Marc Christian Kaboré, cette extradition va d'ailleurs être affichée comme une victoire.»
Ultime recours
En France, la Cour de cassation avait donné son feu vert au transfert de François Compaoré l'été dernier. «Nous ne comprenons pas, alors que le président français en personne l'avait promis à Ouagadougou [en avril 2018], [qu']il ne soit toujours pas extradé, et ce, malgré le quitus de la justice française», s'impatientait le président du Collectif contre l'impunité, Chrysogone Zougmoré, lors d'une cérémonie d'hommage à Norbert Zongo en décembre.
En France, après la phase judiciaire, la procédure d'extradition se déplace sur le terrain administratif – et donc politique. Ne manquait que la signature du décret d'extradition par le Premier ministre, Edouard Philippe. C'est désormais chose faite.
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Ce décret est toutefois susceptible d'un ultime recours devant le Conseil d'Etat, qui, en cas de contestation, donnera sa réponse définitive dans un délai de quatre à six mois. Contacté, l'avocat de François Compaoré, Pierre-Olivier Sur, n'a pas souhaité commenter pour le moment. En matière d'extradition, le Conseil d'Etat dispose d'une jurisprudence plus favorable, pour les personnes susceptibles d'être extradées, que la Cour de cassation. Après plus de deux décennies d'attente, les Burkinabés devront donc patienter encore quelques mois avant de savoir si le «petit président» sera jugé au pays. «Tôt ou tard justice sera rendue. Nous sommes sereins sur cette fin inéluctable», a réagi Guy Zongo, le fils aîné de Norbert Zongo.
(1) Editions Syllepse, octobre 2019.